Les trois premiers présidents burundais étaient tous ressortissants de la commune Rutovu en province Bururi. Un fait qui a renforcé le mythe au tour d’une rivière dont le nom est Kigira, selon lequel « Uwunyoye Kigira Ntagirira » (celui qui boit l’eau de cette rivière a forcement un avenir brillant.) Jadis, ce cours d’eau a nourri d’illusions certains ressortissants de la localité.
Floribert est un professeur d’anglais de 34 ans. Vêtu d’un chapeau circulaire et un long manteau propre, quelque peu délabré, couvrant ses chevilles, un bâton à la main, son look pourrait laisser croire à un simple paysan. D’un pas nonchalant, il s’approche de nous, tout en jetant des regards furtifs à ses vaches en train de brouter dans le périmètre.
Nous sommes à quelques mètres de la rivière mythique Kigira. « Je n’ose pas imaginer combien de fois je l’ai bu, dans l’espoir de devenir un jour dirigeant de ce pays. Les ex-présidents natifs de cette province ont tous étanché leur soif ici », lance-t-il d’un ton rêveur, le regard lointain. Nous glissons : « Est ce trop tard ? ». Il s’empresse de répondre : « Continuer d’y croire serait une folie ! Être natif de Rutovu, c’est comme un péché actuellement. Nous en avons marre des stéréotypes à notre égard, tous les ressortissant de Rutovu ne sont pas responsables de ce qui a été commis ou réalisé lors des trois premières républiques, nous voulons des politiciens qui vont éradiquer ce régionalisme dont nous sommes victimes ».
Un paysage qui profite aux amoureux
La commune de Rutovu est caractérisée par sa nature romantique. Toutes les collines sont recouvertes d’herbes et d’arbres, l’eucalyptus est l’espèce le plus présent. Ce paysage offre un havre de paix aux jeunes amoureux. Nganji, 24 ans, est étudiant à l’une des universités de Bujumbura. N’ayant pas de cours en ce moment, il en profite pour se rendre dans sa colline natale dans la zone Muzenga. Roman à la main, il est assis sur un tapis herbacé, le dos contre un tronc d’arbre. L’air reposé, il lâche avec fierté : « Comment trouvez-vous notre paysage ? C’est beau n’est ce pas ? ». Nous admettons et acquiesçons avec un sourire.
Cette nature resplendissante sert d’abri discret aux amoureux. D’après le jargon local, les arbres qui la meuble sont surnommée « amahoteri ya Bagaza », ce qui signifie : les auberges de l’ex-président Bagaza. En effet, c’est lui, l’initiateur du reboisement sur toute l’étendue de la province. Notre interlocuteur nous confie : « Ce livre est un passe-temps, j’attends d’un moment à l’autre ma copine. Ici on se croirait seuls au monde, sous ce vent qui caresse nos visages, loin des regards curieux ». Plongé dans ses souvenirs, il nous révèle qu’ils se fréquentent depuis l’école primaire. « Cette nature est le berceau de pas mal de foyers dans cette région, j’aime ma copine…, je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve. »
Nous lui demandons le pourquoi de cette incertitude. « Je termine mes études bientôt, sans travail, rester à Bujumbura est inconcevable, or ici à Rutovu, il n’y a pas de marché de travail, pas sociétés, ni d’entreprises, et aucune ONG ne couvre cette zone. Et cela malgré la succession des 3 présidents natifs de cette région. Si le développement de leur commune natale était une priorité, la nouvelle génération vivrait au paradis. Les politiciens d’aujourd’hui et de demain devraient s’y référer et en tirer une leçon. »
Une agriculture mécanisée face au chômage
La zone de Muhweza est située sur la crête Congo Nil. Une imposante chaîne de montagnes, Kibimbi, couvre les horizons. À ses pieds, la vallée nommée Jiji est une étendue verte à perte de vue. Une variété de culture est plantée dans des champs morcelés dans de petites parcelles. Nous y trouvons une fille de 26 ans. Elle a fait le lycée pédagogique, et cela fait 4 ans qu’elle est au chômage. Elle est en train de faire le sarclage dans un champ mixte, de pomme de terre et des maïs.
Travailler la terre avec un diplôme dans la poche ne lui pose pas problème, ce qui la chiffonne par contre, est que ce secteur semble être relégué au second plan. « Vu que la majorité de la population vit de l’agriculture et de l’élevage, dans leurs projets de société, les politiciens devraient en faire une priorité. Ainsi, nous évoluerons de l’auto-subsistance vers l’industriel. Il faudrait que les cultures soient classées selon les régions. Que Bururi par exemple soit spécialisée dans l’élevage de bovins, réserves forestières d’eucalyptus, et puis le café, les pommes de terre à Kayanza,… ainsi nous ne serons plus de simple paysans, mais des entrepreneurs », explique la jeune femme.
La commune de Rutovu est connue sur le plan local, régional et international, car elle héberge la source la plus méridionale du Nil.