Une année vient de s’écouler depuis la décision fixant la capitale politique du Burundi à Gitega. Mais, le projet est ambitieux et certaines décisions du gouvernement augurent implicitement un échec.
La volonté du gouvernement de transférer la capitale politique dans cette province a émergé en 2007, deux ans seulement après l’arrivée du président Nkurunziza au pouvoir. Il y a 13 ans, dans une interview exclusive accordée au journal ougandais Business week, le désormais président sortant déclarait : « Cette décision améliorerait considérablement la prestation des services du pays à ses citoyens en raison de la proximité de Gitega avec d’autres villes du Burundi ».
En juin 2016, le ministre de l’Intérieur réitérait la volonté du gouvernement de changer de capitale politique. Il appelait même les hommes d’affaires natifs de cette province à s’investir dans la construction d’hôtels et de maisons d’habitation modernes.
Le ministre Barandagiye avançait les mêmes explications que le chef de l’Etat : « Ériger la capitale politique au centre du pays est un atout pour tous les Burundais surtout ceux de l’intérieur du pays. Il est très difficile pour un habitant des provinces de Cankuzo ou de Ruyigi de descendre à Bujumbura pour chercher un simple papier administratif ».
Un mois plus tard, le président du Sénat, fera savoir à l’occasion d’une réunion organisée à l’intention des natifs de la province de Gitega que le projet était incontournable : « La ville de Gitega va devenir la capitale politique du pays. Il s’agit d’un projet du Chef de l’État Pierre Nkurunziza qui doit être mis en place quoi qu’il arrive ».
Un bon projet mais…
En soi, le transfert de la capitale à Gitega est un projet à saluer. De par sa situation géographique (centre du pays), elle est facilement accessible depuis toutes les autres provinces, contrairement à la ville de Bujumbura. En effet, quelqu’un qui viendrait de Kirundo arriverait presque en même temps à la capitale qu’un citoyen en provenance de Makamba si les deux quittaient les deux provinces au même moment.
En plus, Gitega est stratégique par rapport à la ville de Bujumbura en matière de sécurité. Bujumbura est à portée de canon d’Uvira, ou de toute la plaine de la Rusizi, côté de la RDC.
Et pourtant, malgré les atouts susmentionnés et en dépit de la promulgation de la loi fixant la capitale politique à Gitega, rien n’a changé administrativement. Bujumbura reste, dans les faits, le siège du gouvernement, du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire. Des hôtes de marque de la République sont accueillis à Bujumbura. Deux chefs d’Etat ont visité le Burundi en 2019, le président somalien et le président Tshisekedi, mais aucun n’a été emmené à Gitega.
Et naturellement, il ne devrait pas en être autrement dans les conditions actuelles. Gitega reste très pauvre en infrastructures comparativement à Bujumbura. La présidence de la République, par ailleurs récemment inaugurée, la résidence principale du chef de l’État, l’aéroport (dont le tarmac va bientôt être réhabilité), tous les ministères, toutes les ambassades et représentations des organisations internationales et régionales (CIRGL notamment), pour ne citer que celles-là, sont à Bujumbura.
Du laisser-aller
Le transfert d’une capitale est un projet ambitieux et de ce fait, il nécessite des préparations au préalable qui s’avèrent très coûteuses. Au Nigeria, la décision de déplacer la capitale de Lagos à Abuja fut prise en 1976 mais cette dernière n’est devenue le siège du pouvoir qu’en 1991. À savoir 15 ans plus tard. L’Égypte construit depuis 2015 une nouvelle ville (Sisi-City) dont elle veut faire la capitale politique en 2024.
Cela n’a pas été le cas au Burundi. La décision du gouvernement a en fait pris tout le monde de court. Il n’est pas superflu de souligner que même la nouvelle présidence de la République a été érigée à Bujumbura, longtemps après que le président de la République ait fait savoir son projet de déplacer la capitale via le média ougandais.
Des ministères de souveraineté à Bujumbura
Les ministères composant un gouvernement, au Burundi comme partout dans le monde, ne sont pas égaux en importance d’une part et en ce qui fonde la souveraineté d’autre part.
Ainsi, le Conseil des ministres du 20 mars 2019 a réparti les ministères entre Bujumbura et Gitega. Onze devaient être maintenus à Bujumbura et dix transférés dans la nouvelle capitale politique.
Presque tous les ministères régaliens, c’est-à-dire incarnant le cœur de l’État, les ministères de la Défense, de la Justice, de la sécurité publique, des Finances et celui des Affaires étrangères, font partie des 11 qui vont rester à Bujumbura. Le comble, même les cinq ministères qui devaient avoir été délocalisés début 2019, les ministères de l’Intérieur, de l’Agriculture et de l’Elevage, ceux de la Solidarité et de l’Éducation et le ministère de la Décentralisation, se situent encore à Bujumbura.
En plus des fonctions administratives d’une capitale, il serait vain d’omettre la puissance symbolique de Bujumbura par rapport à Gitega. Tous les monuments nationaux à caractère politique que le Burundi compte sur son territoire, notamment la place de l’indépendance, se trouvent à Bujumbura. Les héros nationaux reposent à Bujumbura, etc.
Pour ce faire, le président de la République devrait être à Bujumbura le 1er juillet de chaque année pour la fête de l’indépendance, la plus importante fête nationale pour un pays, et les 13 et 21 octobre de chaque année pour commémorer l’assassinat des héros nationaux.
De grands projets à Bujumbura
Le Siège du Sénat est depuis une année en province de Gitega. Si la promesse du gouvernement de construire des palais pour les deux chambres du Parlement était concrétisée, alors que le siège du gouvernement est à Bujumbura, Gitega n’aurait pas encore rempli les conditions d’une capitale politique.
Les lois étant votées à Gitega et promulguées au siège du gouvernement à Bujumbura, il sera légitime, dans les faits, de désigner Gitega comme étant la capitale législative et de parler de Bujumbura comme étant la capitale administrative. À l’instar de l’Afrique du Sud où Pretoria, capitale, est le siège du gouvernement et Le Cap, siège du Parlement.
Entre-temps, la Chine va réhabiliter le tarmac et la tour de contrôle de l’Aéroport international Melchior Ndadaye à Bujumbura. Elle va aussi construire un nouveau bâtiment du ministère des Affaires étrangères à Bujumbura. La FIFA, quant à elle, va prochainement financer la construction d’un stade « ultra moderne » à Bujumbura, a annoncé, jeudi 6 février dernier, le président du Sénat depuis Gitega.
En parallèle, la petite ville de Gitega s’agrandit et change de look. De nouveaux quartiers résidentiels sortent de terre. Des routes asphaltées avec des bords ornés de fleurs et de pelouse. Un système de transport en commun reliant le centre-ville aux autres communes de Gitega est mis en place.
La distance géographique entre les deux capitales compte 110 km. Cependant, la distance en facilités d’équipement entre elles se compte en années-lumière.