5 février 1991 – 5 février 2020, l’eau a coulé sous les ponts, les réalités sociales ont succédé à d’autres. À l’ère d’internet et des réseaux sociaux, la fête de l’unité nationale est une occasion de nous remettre en question quant à nos attitudes sur la toile qui peuvent nuire à cette unité.
Un brin pessimiste, je trouve que par moments, nous portons mal le nom de notre espèce, Homo Sapiens, littéralement l’homme intelligent, sage. Avec la suprématie des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), l’Homo Gafamus – osons le néologisme – a de ces super-pouvoirs à faire trembler les héros de Marvel.
Derrière l’écran de son ordinateur ou avec son smartphone dans les mains, l’Homo Gafamus n’a pas seulement les meilleures tactiques que Zidane pour remporter un match ou dérouler doctement les origines du Coronavirus avec des preuves savantes à l’appui. Il peut aussi trouver qui a tué qui, pourquoi telle ethnie est plus mauvaise que les autres, pourquoi la sienne est l’éternelle victime de l’animosité des autres. L’Homo Gafamus ne se sent pas limité sur ce terrain. Il a toujours raison. À court d’arguments, ce Napoléon refuse un Waterloo et dispose d’une artillerie lourde de clichés et stéréotypes à balancer sans modération.
Et le Burundais dans tout ça ?
Dans une vidéo où elle dénonce le cyberharcèlement, la journaliste Julie Hainaut qualifie les réseaux sociaux d’ « enjeu démocratique de taille, le fléau digital de demain ». Et si elle avait raison ? Je me demande même si ce n’est pas déjà le cas. Le 2.0 est notre agora virtuel, le lieu de rencontre du fameux village mondial qu’a façonné l’internet.
Nul n’ignore la forte identification que génère la mémoire collective. Il y a toujours un « nous » et un « eux ». Il y a ces Tutsi qui sont comme ci et ces Hutu qui sont comme ça. Ces Badede et autres Senere, pour ne citer que ceux-là, qui seraient par essence des fouteurs de troubles invétérés ou des corrompus jusqu’à la moelle.
Cet état des lieux est plus qu’inquiétant pour notre patrie dont les plaies de divisions de tous genres peinent à cicatriser. De fait, les réseaux sociaux ne sont plus l’apanage des « évolués ». Loin de là. Pour avoir suivi les événements de 2015 étant dans un milieu – profondément – rural où j’étudiais, je peux témoigner que la magie de la boite à Zuckerberg peut bien propager un message de division, de haine, une intox de mauvais goût qu’un Homo Gafamus mal intentionné propage en quelques clics, des quartiers de Bujumbura aux ligalas des bananeraies en un laps de temps.
« Eux », c’est aussi « nous »
S’exprimant sur les comportements des gens sur les réseaux sociaux, le sociologue Christophe Assens affirme que « la plupart se regroupent par affinité élective, partageant la même vision du monde, les mêmes sujets de préoccupations ou centres d’intérêt ». Sa vision de ce microcosme virtuel n’est pas du tout rose. Pour lui, « les réseaux sociaux ont tendance à creuser les clivages entre les communautés de pensée ».
Tout cela pour montrer que ce ne sont pas que des anges imbus des valeurs humaines irréprochables qui peuplent l’univers 2.0. Nous y allons avec nos qualités mais aussi nos tares. Cela est un truisme. La question que l’on devrait se poser est : « Devons-nous pour autant être défaitistes et être de cette légion d’imbéciles dont parlait le romancier et essayiste Umberto Eco qui abusent des libertés qu’offrent les réseaux sociaux ? »
Même dans le meilleur des mondes, il serait illusoire d’atteindre l’harmonie parfaite. En revanche, l’Homo Gafamus peut être assagi par certaines « kryptonites » dans sa manie de tout se permettre : la prudence et discernement. Penser par deux fois avant de publier : un post n’a jamais tué personne ; partager une publication incendiaire ne provoque aucun point de côté. Prôner le manichéisme de « eux » les diables et « nous » les anges est ridicule car, en fin de compte, comme société, « eux », c’est « nous » aussi.
À bon internaute, salut!