Elle est devenue, en quelques années, une icône du sixième art au Burundi. Ses nombreuses apparitions sur les planches ont fini par mettre tout le monde d’accord. À l’instar de son nom, qui ne doit rien au hasard, le parcours de Sheilla Inangoma est jalonné de circonstances aux allures anodines, mais où tout la mène là où elle est aujourd’hui.
Les acteurs des différentes compagnies du théâtre burundais ne tarissent pas d’éloges à son propos. Selon Arthur Ban, metteur en scène, acteur, scénographe et directeur artistique d’Umunyinya Theatre Company, « Laura Sheilla Inangoma représente la sincérité et la générosité sur scène ».
Quant à Josué Mugisha, directeur artistique de la Troupe Les Enfoirés de Sanoladante, « Sheilla est une combattante pour l’égalité des genres, une activiste en devenir, une actrice dévouée, une auteure qui veut un changement social par son écriture ».
Vous avez dit Inangoma ?
Auteure de trois pièces de théâtre qui donnent des airs de plaidoyer pour une société juste, actrice dans plusieurs pièces qui ont cartonné à Bujumbura comme à l’étranger, Sheilla, 25 ans, revendique la casque d’activiste de la justice, de la non-violence et de l’humanisme plutôt que celle d’une féministe.
Membre d’une fratrie de 5 enfants, 3 garçons et 2 filles, cette native de la zone Kinanira qui voit le jour au lendemain de l’accession au pouvoir de feu SE président Ntaryamira Cyprien est nommée Inangoma (mère du pouvoir, ndlr) pour immortaliser la circonstance. Ses études la mènent tour à tour à l’Ecole Primaire de Kinindo, à la section Scientifique B du Lycée Notre Dame de Rohero ainsi qu’à la faculté de Business Administration à Bujumbura International Leadership University.
La genèse d’une passion
Tout commence au Lycée Notre Dame de Rohero. Sheilla est membre d’un club de grammaire, de lecture et de diction. L’enseignante qui facilite les activités apprécie son éloquence et sa bonne articulation pendant les exposés. Après l’obtention des certificats, elle prend le soin de lui glisser à l’oreille qu’elle devrait continuer à exploiter son talent.
Quand un jeune slameur du nom Marshall Mpinga Rugano se présente à son Lycée à la quête d’élèves qui voudraient bien le rejoindre dans son projet de création d’une troupe théâtrale, l’école ne cherche pas trop loin. Sheilla est désignée. Son idylle avec la scène vient de commencer.
Dans la première création de la nouvelle troupe « Les Enfoirés de Sanoladante », le rôle de Gacucu, la prostituée, tombe sur Sheilla. Fille plutôt chrétienne, très assidue aux études et qui aspire à devenir une savante avec ses petites lunettes de jeune première, elle refuse net. « Non. Moi je ne peux pas jouer la prostituée », se dit-elle.
L’acteur rwandais Diogène Ntarindwa dit Atome lui explique alors que l’on ne veut pas de Sheilla et de ses principes sur scène. Son rôle est d’éduquer les gens et leur pousser à se mettre à la place du personnage pour enfin changer les mentalités. Elle finit par prendre le rôle.
Et à la fin de sa toute première prestation, quand elle voit des inconnus venir lui féliciter en disant : « J’ai passé un bon moment, j’aimerais revivre ça, je vais revenir demain pour partager ce moment avec la troupe… », elle tombe amoureuse de ce métier. « L’humanité dans ça m’a juste lancé dans ce métier », lance-t-elle, souriante.
L’arrière-cuisine d’un succès
Marshall Mpinga Rugano, son premier metteur en scène ne s’étonne guère du succès de cette comédienne hors pair. Il a vu éclore tout son potentiel et estime qu’elle peut toujours aller très loin. « En dehors de son talent, quelque chose d’autre m’a très vite interpellé : sa détermination, son amour dans ce qu’elle faisait et son assiduité au travail. Nous étions nouveaux dans le milieu et franchement, je n’irai pas jusqu’à dire que je lui ai appris quelque chose», témoigne-t-il.
La comédienne, elle, affirme qu’à l’origine de son succès se trouvent ses relations avec les gens, sa curiosité ainsi que son sens d’organisation et de planification.
Inspirée par toute personne qui prêche l’amour, en l’occurrence le Dalaï Lama, Desmond Tutu, Dr Denis Mukwege, Lupita Nyong’o, et Barack Obama, elle place ses sources d’inspiration « au-delà de la vie qu’on vit, ce qu’on voit, l’environnement, de l’eau qui va et vient, des vagues, du souffle, du vent… ». Et d’ajouter : « Moi, c’est surtout quand je me projette dans le futur que je me sens le plus inspirée ».
Le futur, justement
Dame Sheilla ne manque pas d’ambitions. Elle aspire à des formations d’écriture pour mettre au service de l’art moderne ce que le Burundi compte comme patrimoine traditionnel, les danses surtout. Ce n’est pas tout. Elle brûle de découvrir comment, dans l’Afrique contemporaine, on peut parler de traditions africaines sans être influencé par une idée ancienne de l’écriture et donner la place à une narration africaine contemporaine.
Et pourquoi pas poursuivre ses études par un master ? Même si elle avoue ne pas savoir pourquoi pour le moment. Mais un rêve qui ne la quitte pas : voir une académie d’art burundais, une structure reconnue et protégée par le gouvernement.