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Comment les caféiculteurs burundais se font avoir…

Dix ans après son désengagement, le gouvernement du Burundi, via son ministère de l’Agriculture,  vient de reprendre en main l’organisation du secteur café. Pourquoi ? Une décision tombée comme un couperet, en octobre dernier. Si ce n’est pas du tout officiel, la réalité est que les commissionnaires nationaux et étrangers profitent du café au détriment du caféiculteur et à l’insu du Gouvernement.

Les élus du peuple nuancent. Ce n’est pas seulement les commissionnaires, mais également les autres intervenants à l’instar de l’Intercafé, Cnac Murimaw’insagi et d’autres partenaires qui profitent de la commercialisation du café.

Après dix ans, le gouvernement et les représentants du peuple viennent donc de se réveiller. Ils constatent l’échec de la privatisation, tant  cette fameuse réforme n’a pas produit les résultats escomptés. Car, le prix d’un kg du café cerise n’a cessé de baisser. Avant la fameuse réforme de la privatisation, le prix de ce café était à plus 600 BIF par kg. Après, il a été fixé à 350F. Aujourd’hui, il revient à 500 BIF le kg alors que les caféiculteurs des pays membres de l’EAC, eux,  vendent le kg à plus 1000 BIF.

Répartition de vente café

Sur ce point, le tableau  de la répartition de vente café de la campagne 2018-2019 est clair. Ce gâteau a été partagé entre huit intervenants. Il s’agit des caféiculteurs, de l’Agence de Régulation de la Filière Café qui reçoit 5,1% de la valeur du café vert vendu, de la Confédération Nationale des associations des caféiculteurs (Cnac murima w’isangi) 1,7% et de l’Intercafé qui empoche 0,6%.  

Ensuite, le comité de commercialisation du café vert, composé par cinq directeurs de Sogestal et un représentant de l’ARFIC perçoit 28 BIF par kg du café vert vendu. Enfin, les usines publiques ou privées qui traitent le café reçoivent entre 200 et 220 BIF par kg du café vert.

Concrètement

Pour mieux avoir une idée plus claire de la distribution du revenu du café, permettez-moi de faire un petit exercice. Ne vous lassez pas, ce n’est pas sorcier. 

Partons de la production du café et sa valeur sur le marché international pour la compagne café 2018-2019. Selon le ministre de l’Agriculture, la production de café cerise était de 126 171,621 tonnes. Le café vert produit était de 19 000 tonnes vendues à l’international plus de 47,5 millions de dollars américains. 

Pour nous faciliter la répartition, convertissons 47,5 millions de dollars américains en BIF. Prenons que le dollar américain s’échange à 2000 BIF. Nous avons une enveloppe de 95 milliards BIF à partager entre ces acteurs.

Les caféiculteurs ont livré 126 171 621 kg de café cerise à 500 BIF le Kg. Ils encaissent plus 61 milliards BIF, plus de 64 % du revenu tiré de la vente du café. 

Cinq intermédiaires, c’est beaucoup  

L’Autorité de régulation de la filière café a empoché 5,1% la valeur de la production vendue, soit plus 4,8 milliards de BIF. L’Intercafé  n’a encaissé que 0,6% de la valeur de la production vendue, soit plus de 570 millions BIF. La confédération nationale des caféiculteurs du Burundi reçoit 1,7 % de la production vendue, soit plus 1, 6 milliards BIF.

Deux autres intervenants sont payés par kg de café vert vendu. Un comité de commercialisation et usines de traitement du café. 

Ledit comité, composé par cinq directeurs de Sogestal et un cadre de l’ARFIC, reçoit entre 28 BIF par kg de café vert vendu. Sur 19 mille tonnes de café vert vendues, ils ont perçu 532 millions de BIF.

Quelques usines publiques ou privées ayant traité le café ont encaissé entre 200 et 220 par kg de café vert. Elles ont encaissé 3,8 milliards de BIF. Les communes où se pratiquent la culture du café ont eu une part du gâteau. Elles ont perçu 11 BIF par kg de café cerise, soit  plus de 1,3 milliards. Au total, les intervenants et les communes ont reçu pas moins de 13 milliards de BIF. 

Bref, notre exercice nous montre que les milliers de caféiculteurs ont bénéficié de 64% et les intermédiaires 14%.  Les Sogestal et sociétés privées partagent les 22% restants, soit 23, 1 milliards BIF. Voilà pourquoi les caféiculteurs burundais gagnent peu par rapport à ceux de l’EAC.

Une autre réalité

Une question se pose. Pourquoi les élus du peuple et le gouvernement disent que les cultivateurs ne profitent pas de la privatisation alors que ces derniers y tirent plus de 64% ?

Derrière cette répartition se cache une autre réalité. Les caféiculteurs n’ont encaissé que 64 % de revenus tirés de la vente du café. Car, le prix du café cerise dépend de la qualité du café. Officiellement, le prix du café cerise vaut 500BIF. Mais en réalité non. Seule la production de bonne qualité est vendue à ce prix. Cette dernière ne représente que 30% de la production totale.  70% soi-disant de mauvaise qualité est vendu à 200 BIF. En moyenne, le caféiculteur cède le kg cerise à 250BIF le kilo. Ainsi, les caféiculteurs n’auraient encaissé que 32% du revenu tiré de la vente du café. 

Où vont 32% restants ? Cette manne entre dans les caisses des Sogestal et des entreprises privés qui ont commercialisé le café. La répartition change. Les caféiculteurs ont bénéficié que de 32% et les intermédiaires 14%.  Les Sogestal et sociétés privés partagent 54%.

En outre, l’écart inhabituellement large entre le taux de change de la monnaie et le taux de change officiel appliqué par la Banque de la République (BRB) pénalise tous les acteurs du secteur du café en sous-estimant la valeur des ventes à l’exportation du café en francs burundais.

Finalement, les élus du peuple et le gouvernement ont raison. Les caféiculteurs ne profitent pas des revenus tirés de la vente du café comme il se devait. 

Comment relever les revenus du caféiculteurs ? Il faut réduire au minimum les intermédiaires et les commissionnaires. Si de besoin, permettre aux caféiculteurs de négocier les prix sur le marché international.

Par ailleurs, les pratiques de la fixation des prix minimaux plancher par le biais de négociations entre les partenaires Intercafé n’ont pas abouti à des prix qui incitent les agriculteurs à investir davantage de leur travail, de leurs liquidités et de leurs terres dans la production de café. Pour y remédier, il faut fixer le prix tenant de la dépréciation du BIF. 

 

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