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« Allô chérie, tu as vu l’heure ? » : on en a marre

Pouvons-nous en débattre ? Cela vaut-il la peine de s’attarder un peu sur l’heure à laquelle madame doit rentrer ? Il m’aura fallu entendre mes copines en parler autour d’un verre.

Nous sommes chez Watos, un des bars les plus fréquentés à Bujumbura. La musique est un peu forte, mais ça n’empêche pas les gens de discuter, tout en sirotant chacun sa bière. Ça fait juste une demie heure que nous sommes assises, à 4, autour d’une petite table ronde. Soudain, un téléphone sonne, c’est Nadia, la maman branchée, piercing sur le nez, arborant des gourmettes sur les deux pieds, que l’on appelle. Elle s’éloigne un peu pour répondre, et nous, nous continuons à papoter. Nos bouteilles sont encore remplies, à moitié. Quand Nadia revient, elle lance : « À peine je vide mon premier verre et  mon mari veut savoir à quelle heure je rentre », dit-elle  en levant les yeux vers le ciel.  « C’est toujours comme ça quand je sors », ajoute-t-elle. Et hop, le débat est lancé.

Émelyne, dégourdie, toujours le sourire aux lèvres, lance : « Mais qu’il t’appelle, c’est normal, savoir où tu es, il n’y a rien de mal. Mais s’il le fait à chaque fois que tu sors, c’est que tu l’as habitué à ça. Moi aussi, c’était pareil ». Elle ajoute que si elle devait passer quelque part après le boulot, c’était un long processus de négociation qui n’aboutissait pas. Son mari voulait qu’elle passe d’abord à la maison voir si tout va bien, si les enfants ont mangé. Mais en faisant ce détour, des fois elle se retrouvait à annuler ses programmes. Aujourd’hui, elle dit que cela a changé, lorsqu’elle a dit à son mari que ça ne lui convenait pas, et il a un peu compris. « Si j’ai un autre programme après le travail, j’y vais. Je lui ai fait comprendre que je ne faisais rien de mal dehors, qui puisse nuire à sa réputation, et que ma famille compte avant tout. Je ne sors même pas souvent ».   

Un autre téléphone sonne, c’est le mari de Linda qui appelle. La même question revient : « Tu as vu l’heure ? ». Là, on éclate de rire. Dans moins d’une heure, les quatre femmes réunies autour d’une table avaient eu droit chacune à l’appel de leurs maris. Leur manquent-elles ? Je ne crois pas.

« Ntituri ibirara »

« Ce qui m’étonne, dit Alice, d’habitude un peu réservée, c’est que quand le mien  sort, je l’appelle rarement pour lui demander quand il rentre. Si je le fais, il me dit : Dans une heure, ma chérie, attends-moi ». Au début, Linda l’attendait mais elle finissait par s’endormir au salon pour être réveillée par les chants et les piqûres des moustiques. «  Mais finalement, ils sont tous les mêmes ? », s’exclame Bertille, la plus gentille, toute menue, la main sur le front. « Moi quand j’étais encore chez mes parents, ma mère m’appelait  tout le temps quand j’étais dehors, et maintenant, c’est mon mari !! Mais les gars, ntituri ibirara (nous ne sommes pas des dévergondées) ! »

À Alice de clore le débat avant de vider son verre et d’aller prendre son taxi qui la ramène chez elle : « Nos foyers comptent avant tout, mais nous avons besoin de souffler un peu aussi, comme eux. Ils le font d’ailleurs plus souvent que nous. Nous ne voulons pas prendre exemple sur eux, qu’ils le comprennent, mais qu’ils sachent aussi que nous sommes des adultes, et nous ne sommes pas moins responsables quand nous ne sommes pas à la maison. »

 

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