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Ce qu’il faut savoir sur la disparition de l’Umuganuro

Jadis perçue comme une fête incontournable dans la vie de la monarchie, l’Umuganuro a connu une fin tragique et est rapidement passée dans le camp des snobés par la conscience collective.

« Civiliser les peuples incapables de se diriger eux-mêmes » est la substance de l’article 22 du traité de Versailles sur les missions des puissances mandataires. Carburant à un universalisme paternaliste, les pays institués du Mandat de la SDN ne pouvaient que comprendre par civilisation l’abolition des us et coutumes des petits nègres primitifs au profit de l’occidentalisation de ces derniers. Cette vision dite civilisatrice devant passer par la christianisation, les rites traditionnels des pays à remettre sur le droit chemin ne pouvaient qu’être étiquetés de paganisme, en d’autres termes, il fallait les éradiquer.

Il va sans dire, l’Umuganuro s’est retrouvée naturellement en ligne de mire de cet aggiornamento. Des rites qui, observés avec des lunettes chrétiennes pouvaient facilement passer pour païens, étaient légion. Citons par exemple l’union rituelle entre le roi et sa sœur biologique, Mutwenzi. Un inceste sur lequel les missionnaires sautaient pour confirmer le côté contre nature de la chose. « Mais ils étaient dans le faux, précise le professeur Émile Mworoha, historien. Cette union n’était pas consommée. C’était un symbole que tout était permis au roi, même les actes les plus abjects comme l’inceste que la société burundaise exécrait »

Umuganuro, une institution qui « dérangeait »

« Le monde, c’est ma représentation » écrivait Arthur Schopenhauer dans son  œuvre magistral Le monde comme volonté et comme représentation. Cette phrase, à la signification profonde que le philosophe allemand a eu le génie de mettre en incipit de son livre, était un des piliers de la pensée du Murundi, à son insu. Pour lui imposer une religion nouvelle, un système politique nouveau, il fallait stricto sensu saper son univers symbolique. Celui-ci était fermement bétonné par un appareil de mythes et croyances affermis au fil des siècles qui n’était pas susceptible à crouler sous l’effet du zéphyr de la première prédication.

Ainsi, le tandem Église-administration entre en jeu. Dans les années 20, est construite la mission de Bukeye. Un lieu stratégique au cœur du complexe des domaines royaux de Muramvya. L’objectif, estime Joseph Gahama dans Le Burundi sous l’administration Belge  est de tout faire pour avoir le roi dans l’escarcelle de l’Église. Petit à petit, le Père Pio Canonica prend plus d’emprise sur le jeune roi que ses tuteurs Karabona et Nduwumwe. L’ecclésiastique n’est pas dupe. Il sait très bien que pour vider l’Umuganuro de son sens, il doit passer par le roi, le personnage central de cette célébration. 

De son côté, le pouvoir temporel ne croise pas les bras pour assister passivement à l’action de Canonica. Le pouvoir mandataire belge sait très bien que l’Umuganuro est la manifestation de l’allégeance de tout un peuple à leur souverain. Une concurrence de taille pour eux. Le résident se montre généreux et invite souvent le jeune Bangiricenge à Gitega pour recevoir quelques rudiments d’administration. On s’en doute, ce n’était pas pour lui répéter qu’il avait un pouvoir de droit divin et qu’il avait droit de mort ou de vie sur ses sujets.

En parallèle, les chefs et sous-chefs étaient baptisés en grand nombre. La formule romaine cujus regio ejus religio en vertu de laquelle la religion du prince est la religion du peuple, fonctionnait et était le cheval de Troie pour s’attirer l’adhésion des populations locales, par ricochet, asseoir leur pouvoir. Il faut savoir que les Belges tissaient à ce moment de très mauvaises relations avec Yuhi 5 Musinga du Rwanda qui ne se montrait pas très collaborateur. Ils finiront d’ailleurs par le déposer puis l’exiler au Congo belge. « D’où la prudence de ne pas vivre la même expérience au Burundi », explique Mworoha.

De la désacralisation…

Début 1928. Premier acte de la descente aux enfers de l’Umuganuro. C’est à cette période que se déroulent les festivités de l’Umuganuro de 1927. Le roi ne se montre pas pressé. C’est Nduwumwe qui va même demander à Canonica de persuader Mwambutsa d’observer les canons de la tradition. Une occasion en or que le père blanc saisit à deux mains. Sûr de son influence, il demande en contre partie que le roi ne puisse pas rendre un culte religieux aux tambours ni plier les genoux devant eux. 

À la place de la tenue traditionnelle, c’est un Mwambutsa en tenue occidentale qui se présente ; « … en complet blanc, écrit J. Gahama op.cit et son frère Kamatari a passé une bonne partie de la journée à jouer au foot avec des amis », lit-on dans les pages du même historien.

En 1929, l’Umuganuro dure quelque cinq jours au lieu de plus d’une dizaine. 

… à la suppression.

L’année suivante, 1930, l’Umuganuro n’aura pas lieu ! À sa place, la cour se réjouit des noces de Mwambutsa avec Thérèse Kanyonga, ce que plusieurs personnes ont interprété comme une machination signée Canonica.

S’en suit une véritable croisade contre l’Umuganuro, ou ce qui l’en restait. Un soft power mâtiné de versets bibliques. La recette fit mouche. La vestale Mukakaryenda, femme mariée mystiquement au tambour pour l’entretenir jette l’éponge pour embrasser la foi catholique. Ruburasoni, la toute dernière Mukakaryenda choisit le sacrement de mariage à la virginité perpétuelle en honneur à Karyenda. Elle va dans sa région de Busiga pour faire foyer avec un trayeur.

Les deux taureaux sacrés Semasaka, le taureau noir et Muhabura ne sont pas épargnés. Le dernier Semasaka meurt en 1935 sur la colline Kiryohe, relate G. Joseph.  « Une version circule comme quoi il a été déchiqueté par les corbeaux mais en réalité, soutient l’historien, il a été mangé par les gens du coin ». Le mystique autour avait disparu pour être relégué au rang de ses pairs.

Muhabura, qui suivait le roi dans ses déplacements, finit ses jours dans la marmite. Désormais, le roi se déplace en voiture et le bovidé devient encombrant. «  Le roi ordonne qu’on l’abatte pour le donner aux élèves de l’école de Muramvya tenue par Bonjean », éclaire Mworoha. « Nduwumwe faillit se tuer en recevant cette nouvelle », renchérit Joseph Gahama.

Jusqu’à l’avènement de la République en 1966, c’était une version bien édulcorée du Muganuro qui se passait, les prélats de l’Église catholique se substituant au roi dans le rôle de bénir les semences. 

Karyenda ? « Personne ne sait où ça se trouve, révèle le professeur Mworoha. Nous avons mené des recherches auprès de la famille de Bakareke, le ritualiste qui a intronisé Ntare 5 Nditije, sans succès. Des affirmations circulent sur là où il se trouverait, mais ses tenants n’apportent pas de preuves sérieuses et tangibles »

Peut-être que, à l’image de la déliquescence de l’Umuganuro, Karyenda moisit dans un coin perdu en pâture aux xylophages ou dans une collection privée en Europe. Le temps nous le dira… ou pas !

 

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