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Ebola : sur les routes du virus

Au mois de juillet dernier, la nouvelle d’un cas confirmé de la maladie à virus Ebola dans la ville congolaise de Goma avait suscité au Burundi l’inquiétude du public et des autorités.  Et pour cause, la capitale de la province du Nord-Kivu revêt un caractère stratégique dans la sous-région. Un peu plus d’une semaine avant les récents nouveaux cas confirmés, le blogueur Yves Irakoze a été sur les routes et les postes frontières de trois pays-le Burundi, le Rwanda et la RDC et a observé les mesures de surveillance et de riposte en vigueur. Récit.

Dimanche, 21 juillet 2019. Après un retard de plusieurs dizaines de minutes, la voiture d’une agence de transport qui nous transporte quitte le marché Bujumbura City Market dit « Chez Siyoni ». Premier arrêt, le poste-frontière de Ruhwa entre le Burundi et le Rwanda. 

Là-bas, le poste de dépistage du côté burundais impressionne par sa belle tenue. Il s’agit d’une enceinte encloisonnée par des vitres percées d’un orifice qui sépare l’agent de santé et le voyageur qui traverse la frontière, ce qui réduit le contact entre les deux et ainsi le risque de contamination. Le dépistage, lui, aura lieu du côté du prochain pays d’entrée, c’est-à-dire côté rwandais. 

Là-bas, le check-point est une vaste tente et aucune construction ne nous sépare de l’agent de santé qui pointe le thermoflash vers nos tempes pour la mesure de la température. « Quelle est la démarche si vous découvrez un cas suspect parmi nous ? ». « Soit on vous renvoie chez vous, soit on appelle une ambulance qui va vous transporter vers une structure de soin chez nous », rétorque-t-elle. 

Des gants pour réduire le contact entre voyageurs et agents de l’Etat

S’en suit un long périple vers le poste frontière la « Grande Barrière » au Nord-Ouest du Rwanda au cours duquel nous parcourons  une dizaine de kilomètres sur la Route Nationale 6 puis la route « Kivu belt » longue de 206 Km et qui serpente les collines au bord du Lac Kivu depuis le district de Rusizi jusqu’à Rubavu. Nous ne sommes plus alors qu’à quelques foulées du sol « gomatracien ». 

Arrivé au guichet unique, côté rwandais, un regard attentif remarque qu’agents de police, agents d’immigration, agents de santé, tous portent des gants. « Est-ce là une règle ou mesure dans le cadre de la prévention contre la maladie à virus Ebola ? » demanderai-je, de retour de Goma, à l’agent de l’immigration qui s’apprête à tamponner mon passeport. « Yego, à cause d’Ebola, on nous a tous requis de porter des gants », me répondra celle-ci. Encore une mesure pour réduire les contacts entre voyageurs et agents de l’État.

Un peu plus d’une semaine après mon voyage et la confirmation de nouveaux cas d’Ebola dans la ville de Goma, j’apprendrai l’installation par le Rwanda de plusieurs robinets infrarouges et à eau chlorée à sa frontière avec la capitale du Nord-Kivu.

À Goma, Ebola est partout…

Déjà à la frontière avec le Rwanda, il faut traverser deux postes de dépistage avant de parvenir aux agents de l’immigration qui, contrairement à leurs collègues rwandais, ne portent pas de gants. Chaque poste de dépistage, c’est un thermoflash, trois agents de santé et trois robinets pour se laver les mains. C’est aussi un mégaphone qui transmet en boucle « Musukule mikono mbili kwa kujikinga virusi ya Ebola » (Lavez-vous les deux mains pour vous prévenir contre la maladie à virus Ebola). Ce n’est pas tout, il n’est pas rare de passer par des check-points institués à l’entrée d’établissements privés. Deux sur trois hôtels visités durant mon séjour ont un agent parqué à l’entrée pour répéter la même opération de dépistage qu’à la frontière. 

De nouvelles habitudes font également surface. Les poignées de main se font de plus en plus rare pour laisser place à des sortes de « check » coude contre coude. Il n’est pas également fortuit de voir une personne se précipiter vers sa chambre d’hôtel avec un masque qui couvre le nez et la bouche.

L’information sur les efforts de prévention est en accès facile. Durant un forum des jeunes auquel j’assiste, des exemplaires du numéro 007 du bulletin du sous-bureau de l’OMS à Goma sont distribués gratuitement aux participants. Il y est question des séances de sensibilisation réalisées auprès des élus du peuple, des cadres de l’Etat ainsi que des différentes actions de l’OMS. Dans ce numéro publié avant la confirmation d’un cas d’Ebola dans la capitale du Nord Kivu, un cas confirmé de la maladie à virus Ebola est présenté par l’OMS comme « un scénario qu’il faut à tout prix éviter, vu le nombre des populations et la place stratégique qu’elle occupe dans la région ». 

…mais Ebola est nulle part.

Les zones de Beni et Butembo où sévit la maladie ne sont-elles pas désignées sous l’appellation «Grand Nord» comme si elles tombaient sous l’autorité de quelque région de l’Arctique alors qu’elles appartiennent toutes deux à la province du Nord-Kivu dont Goma est la capitale? Le caissier de l’agence de voyage à qui j’interrogeais sur les risques de contamination dans la ville, n’a-t-il pas répondu, comme exorcisant une menace lointaine : « Goma banalombaka saana. Ebola hayiwezi kufika Goma » (À Goma les gens prient beaucoup. Ebola ne peut pas entrer à Goma). En fait, Goma apparaît paradoxalement comme une grande ville quelconque de la sous-région située sur le chemin d’Ebola, dans l’éventualité d’une conquête meurtrière d’autres cieux au-dessus des grands lacs est-africains.  Le trajet Beni – Goma n’est-il pas de 362 Km, soit plus de la moitié de la distance Beni – Bujumbura (706Km), et plus des quatre cinquième du trajet Beni – Kigali (428 Km)?

Rien d’étonnant donc si plusieurs hôtels de Goma affichent des taux d’occupation qui feraient rougir de jalousie des tenanciers d’hôtels à Bujumbura. Un des agents de l’hôtel dans lequel nous descendons, interrogé, nous révèle que celui-ci affiche presque complet. Rien d’étonnant également si depuis tôt le matin, des vrombissements d’avions en partance ou à destination de Goma déchirent à plusieurs reprises le ciel bleu de la ville toute la journée durant. Sans parler des plaques d’immatriculation des Nations unies et d’ONGs de tout poil et de tout acabit dont le nombre par kilomètre carré doit concurrencer celui qui prévaut dans une ville internationale comme Genève. « Ceci est dû aux nombreux problèmes que connaît la RDC. Il y a plusieurs organisations qui viennent ici soit pour aider soit pour étudier ce qui s’y passe », m’explique un blogueur congolais. Une sorte de cas d’école de la misère, quoi !

Écran géant sur le Kivu et couacs sur la Ruhwa

Sur notre chemin de retour, nous faisons une escale sur le poste frontalier Rusizi entre les villes rwandaise de Cyangugu et congolaise de Bukavu. Les quelques agents de police rwandais aperçus ici ne portent pas de gants, contrairement à leurs collègues de Rubavu. Fait notable, un écran géant projette en boucle un message en Kinyarwanda. Il y est question des signes d’appel de la maladie à virus Ebola ainsi que des moyens de prévention, essentiellement dans le milieu scolaire. Le logo de l’Unicef étant le seul d’un partenaire non-étatique qui apparaît à la fin de la vidéo, le choix de l’école comme milieu cible du message est à chercher peut-être de ce côté-là.

Enfin, cap plein Sud. Direction, le poste-frontière de Ruhwa. Cette fois-ci le dépistage se fera côté burundais. Et là, trois couacs coup sur coup. « Muganga, erega amazi yakamye », interpelle un agent de police à l’adresse d’un homme en blouse blanche, à notre approche de la barrière où se trouvent un robinet et un seau plein d’eau usée. Nous passerons donc la frontière sans nous laver les mains. Arrivés au niveau de l’agent de santé, celui-ci nous demande dès qu’il apprend notre lieu de provenance : « Nta mafaranga y’amakongomani mufise none ngo ndabavunjire ? ». Monsieur l’agent de santé fait donc également le cambiste. Après la mesure de la température, un ami lui demande si nous pouvons être sûrs d’être hors de danger. Notre homme le gratifie d’une réponse affirmative, confiant. Évidemment, il a tout faux. Avec une période d’incubation pouvant aller jusqu’à 21 jours, trois semaines peuvent donc passer avant l’apparition des premiers signes de la maladie à virus Ebola (la bonne nouvelle étant que, tant qu’ils sont asymptomatiques, les sujets humains infectés ne sont pas contagieux). Un agent de santé d’outre-Kanyaru interrogé plus tôt à ce même propos avait passé le test sans difficultés.

Il ne me reste plus qu’à parcourir les quelques 126 Km de route qui séparent le poste-frontière de Bujumbura. 126 Km pendant lesquels mon compagnon de voyage, un vieux chauffeur burundo-congolais  qui revendique 19 ans d’expérience sur le trajet Bujumbura-Cibitoke et trois attaques par des hommes du coupeur de route Bitaryumunyu, nous raconte des vertes et des pas mûres sur 19 ans de péripéties avec la police de roulage.

 

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