Le terme sème toujours confusion. À voir la «vraie» définition du vocable, «mouvement militant pour l’amélioration et l’extension du rôle et des droits des femmes dans la société», être féministe ne devrait pas être un problème. Mais chez nous, l’historique du mot, les courants féministes, l’usage, le contexte font que c’est un terme à prendre avec des pincettes.
Illustration. Il est 18h moins, je me dirige vers la salle où va se dérouler le théâtre «Ingundu y’umuganuro». À l’entrée, un groupe d’amis. «Salut la féministe!», me lance un ami blogueur, mi-figue mi-raisin. Difficile de discerner s’il est accusateur ou appréciateur. Son ami renchérit, le ton dur: «Oui, celle-là est vraiment une féministe». Il n’y a plus de place au doute. L’autre aurait bien pu me taquiner gentiment mais la prise de parole de son ami vient confirmer qu’il ne s’agit pas d’une plaisanterie bon enfant. Je rétorque au deuxième : «Mais toi, c’est à peine que tu me connais et tu viens me taxer de féministe avérée ? Et ce ton, mon Dieu! On dirait que je suis une criminelle!»
Après une petite discussion, le jeune homme m’avouera qu’il me prend pour une femme «rebelle» à cause de mes blogs. «Tu es sensible aux questions liées au genre et dans tes écrits tu donnes l’image d’une femme rebelle qui réclame le droit à l’égalité des sexes». Entre acquiescer et m’affirmer comme féministe ou nier de toutes mes forces que non je ne suis pas cette féministe-là, je suis partagée.
Donc être féministe signifie être une furie?
Le terme «féminisme» n’est pas nouveau pour moi, je l’ai entendu depuis l’école secondaire dans les cours de littérature avec mon prof de Français. Il nous donnait le portrait des écrivaines renommées dans le monde comme Simone de Beauvoir dans son célèbre Ouvrage «Le Deuxième Sexe». J’ai gardé l’image d’une femme qui osait. Et avec mes études universitaires en littérature, j’ai appris à connaître les autres féministes comme Elaine Showalter, Virgina Woolf, Elizabeth Garrett Anderson,… Toutes des grandes personnes qui voulaient améliorer le quotidien de la femme, montrer sa valeur.
Oui les questions de genre me préoccupent. À chaque fois qu’une femme est violée, à chaque fois que j’entends des stéréotypes dénigrant la femme, mon cœur saigne. J’aime chanter ces héroïnes anonymes, ignorées dans leur coin mais qui font de nous ce que nous sommes aujourd’hui. Je me dois d’encourager mes petites soeurs à travailler dur pour le développement de leur pays, bref je sens le devoir de m’exprimer sur les questions liées au genre mais…
Ne m’appelle pas féministe, comme si tu m’accusais
Oui, parce qu’à chaque fois qu’un « Burundais» te dira que tu es une féministe, crois-moi, ce ne sera pas un compliment. Soit, il révèle le danger que tu représentes pour lui, soit, il t’interpelle pour que tu abandonnes tes convictions et idées qu’il juge révolutionnaires.
Comme le dit l’écrivaine Nigériane Chimamanda Adichie Ngozi, le concept même de féminisme est limité par les stéréotypes. «Et par des voies différentes, des femmes et des hommes ont exercé leur «féminisme» sans connaître le mot», soulignera-t-elle.
Oui, comme mon grand-père, un grand féministe, père de cinq filles, qui n’a pas prêté oreille à ceux qui voulaient qu’il renvoie sa femme parce qu’elle donnait naissance à des filles seulement. Lui qui n’a pas écouté ceux qui lui disait «nta mashure y’abakobwa» (ndlr les filles ne sont pas dignes d’aller à l’école).
Comme mon papa qui a cru en mes capacités en tant que fille et m’a envoyé à l’école sans toutefois tenir compte de mon sexe féminin. Et qui depuis mon enfance, nous a encouragé à faire les travaux domestiques garçons et filles, tous confondus. Lui, qui a inculqué en moi cette croyance que je comptais au même pied d’égalité que mes frères. Lui qui m’a laissé grimper sur les arbres sans me crier dessus et qui m’a fait croire que je suis intelligente et que je pouvais faire mieux que les hommes.
Non, être féministe n’est pas un crime. Vous êtes peut-être aussi des féministes. Vous l’ignorez seulement.