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Vers un Triumvirat Tshisekedi, Katumbi et Bemba en RDC

Bien loin de la rencontre de Genève où, encore tous opposants, ils s’étaient tiraillés à l’issue d’un conclave chahuté, les trois leaders politiques congolais, à savoir Félix Tshisekedi, Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi sont aujourd’hui sur le point de former une nouvelle alliance, au pouvoir.

Le dimanche 27 décembre, tard dans la soirée, Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba ont une nouvelle fois répondu à une invitation de Félix Tshisekedi. Les deux opposants, qui ont été reçus à la Cité de l’Union Africaine à Kinshasa, n’ont plus été vus ensemble aux côtés du Chef de l’Etat depuis un très long moment. En novembre 2018 à Genève, en Suisse, Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba avaient préféré désigner Martin Fayulu comme candidat de l’opposition à la présidentielle de la même année, alors que Félix Tshisekedi était pourtant le grand favori dans l’opinion. Ils s’étaient d’ailleurs séparés en queue de poisson.

Mais les temps ont changé. Depuis plusieurs mois, par l’entremise de l’Ambassadeur des Etats-Unis à Kinshasa, Mike Hammer, les trois personnalités ont entamé des pourparlers afin d’établir une nouvelle coalition. « Il faut comprendre que cette coalition se dessinait depuis longtemps. Elle est une œuvre des Etats-Unis, plus précisément des représentants américains en RDC. Il y a certes l’Ambassadeur Mike Hammer qui en est l’instigateur, mais à regarder de près, vous verrez que l’ancien Envoyé spécial des Etats-Unis pour la région des Grands Lacs, Peter Pham, n’est autre qu’un ancien du Think Thank Atlantic Concil, qui a été très proche de Moïse Katumbi durant la crise qui a précédé les élections », explique Litsani Choukran, fondateur de POLITICO.CD.

Les Etats-Unis à la manœuvre

L’alliance entre Félix Tshisekedi et Joseph Kabila n’a jamais été soutenue par les Etats-Unis. Au début de son mandat, le Chef de l’Etat congolais a fait plusieurs voyages à Washington, ayant notamment été reçu plusieurs fois par le Secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo. Aux Etats-Unis, Félix Tshisekedi a même promis de « déboulonner le système dictatorial » de Kabila. A la même époque, et même en janvier 2020, Moïse Katumbi sera également reçu à Washington par des officiels américains, notamment Peter Pham et Tibor Nagy, le Secrétaire adjoint du Bureau des Affaires africaines du Département d’État américain. Le contenu des discussions ne sera pas révélé. En juillet dernier, lorsqu’une vive polémique autour de la désignation de nouveaux membres à la tête de la Commission électorale éclate, l’Ambassadeur américain à Kinshasa est encore à la manœuvre. Mike Hammer entame une série des consultations avec notamment Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba, pour « une Commission Électorale indépendante et crédible ». Dans le fond, les Etats-Unis, expliquent M. Litsani, auraient alors chercher à mettre en place un changement qui écarterait Joseph Kabila du cercle du pouvoir.

Alors que le temps passait, ce nouveau plan américain avait besoin d’un coup de pouce. Et les querelles persistantes entre la plateforme de Félix Tshisekedi et celle de Joseph Kabila allaient servir de déclencheur. A Kinshasa, le Chef de l’Etat hausse le ton en septembre, bravant son allié Joseph Kabila autour d’une désignation polémique des nouveaux juges à la Cour Constitutionnelle. Le FCC rouspète. Mais il ne voit toutefois pas venir la suite. Félix Tshisekedi tonne et annonce donc la fin de sa coalition avec Kabila, qui est symbolisée par la « prise » de la majorité parlementaire à l’Assemblée Nationale. Pendant ce temps, des pourparlers engagés par le président congolais laissent place à une « Union sacrée » qui voit systématiquement Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba se rapprocher publiquement de Félix Tshisekedi. « Les discussions publiques sont formelles. Elles visent à montrer qu’une coalition est en train d’être mise en place. Mais les vraies négociations se passent dans les coulisses. Car s’ils sont d’accord pour s’unir, chacun a toutefois ses objectifs », explique M. Litsani.

Chacun a ses visées

Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président, est inéligible à la présidence en RDC, après avoir été condamné pour « subornation de témoins » par la Cour Pénale Internationale (CPI). Cette condamnation a été assimilée par le régime de Joseph Kabila à une condamnation pour « corruption », le privant donc de la présidentielle de 2018. Mais Bemba pourrait bien rêver d’une modification de la loi électorale à ce sujet, alors que la nouvelle Union sacrée pourrait avoir une majorité. Par ailleurs, longtemps sur le banc de touche, durant son emprisonnement de 10 ans à la Haye par la CPI, le président du Mouvement de Libération du Congo (MLC) espère bien reprendre les affaires. « Selon les discussions en cours, un Gouvernement d’union sacrée est envisagé. Et Jean-Pierre Bemba pourrait en prendre les commandes, sachant que ni Félix Tshisekedi, ni Moïse Katumbi, ne pourront lui faire de cadeau en faisant sauter le verrou qui le prive de la Présidentielle », explique pour sa part un proche du camp Kabila.

Moïse Katumbi était le grand absent de la Présidentielle de 2018. Joseph Kabila et son régime ont tout fait pour l’en exclure, prétextant notamment qu’il n’avait pas de nationalité congolaise d’origine. Mais Katumbi a pendant longtemps été proche de Félix Tshisekedi, ayant notamment formé la coalition du Rassemblement en 2016 aux côtés d’Etienne Tshisekedi, le père de l’actuel président. A l’éléction de Félix Tshisekedi, Katumbi a réussi à récupérer son passeport congolais et s’est même offert une rentrée triomphale au pays après son exile de trois ans. Il semble entretenir depuis une position adoucie vis-à-vis de Félix Tshisekedi. Autour de l’Union Sacrée, l’ancien Gouverneur du Katanga, espère surtout « contrôler » le futur cycle électoral. En vue de la présidentielle prévue en 2023, «Moïse Katumbi et sa coalition, la première force d’opposition dans les deux chambres du Parlement, pourraient avoir un regard pointu sur la préparation des futures élections, à commencer par la désignation des membres de la Commission électorale, qui n’est toujours pas en place. Katumbi n’a aucun intérêt à assumer un quelconque bilan actuellement. Sachant que si des élections étaient convoquées, il sera ipso-facto candidat. Mais il pourrait envoyer ses cadres au Gouvernement pour contrôler le processus d’organisation des élections et donc s’assurer que rien ne soit fait contre sa future candidature », explique la même source proche du camp Kabila .

Les états majors s’agitent, le Congo attend

La démarche entreprise par Moise Katumbi réjouit ses cadres. Sans trop vouloir commenter au sujet des ambitions de cet ancien Gouverneur du grand Katanga, un des proches de Katumbi justifie la démarche de son autorité morale. “Honnêtement, c’est l’intérêt qui motive l’action politique, mais pour ce cas de figure, je vous inviterais à appréhender la question en trois dimensions. Premièrement, tous congolais peut dire aujourd’hui qu’il y a une vingtaine d’années, le Congo ne s’est jamais porté aussi bien et n’a jamais été aussi respecté sur l’échiquier africain. Deuxièmement, l’avenir est prometteur dans cette dynamique. Il y a des perspectives d’avenir, lesquelles sont clairement radieuses. Troisièmement, c’est le retour à la dignité. Nous étions devenus la risée du monde avec le régime passé”, explique-t-il. Et ce qui réjouit le plus : “Nous sommes fiers qu’il n’y a jamais eu de troisième penalty malgré les supplices, l’expropriation et l’apatridie”, confie ce proche de Katumbi qui a requis l’anonymat.

Il ne faudra pas oublier les autres composantes, à savoir les « anciens » députés du FCC qui font défection, le groupe de Modeste Bahati et même ceux des 13 députés dits de « réformes ». Il y a également les ambitions de la famille politique de Félix Tshisekedi elle-même. D’abord la formation de Vital Kamerhe, artisan de la victoire de Félix Tshisekedi à la présidentielle de 2018, mais qui semble être écarté du plan d’un Triumvirat Tshisekedi-Bemba-Katumbi. L’UDPS, le parti de Tshisekedi, ne jure que sur un deuxième mandat de son leader à la Présidentielle de 2023. Des ambitions qui se heurtent à l’accord signé à Nairobi entre Tshisekedi et Kamerhe, qui fait de ce dernier le candidat de la coalition CACH à la même présidentielle. Par ailleurs, ces ambitions pourraient se heurter à celles des autres alliés du président de la fameuse « Union Sacrée », notamment celles de Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba.

Mais le Triumvirat semble plaire aux congolais. La rencontre du dimanche à la Cité de l’UA autour du Chef de l’Etat a été suivi d’un lot de messages de soutiens, alors qu’une bonne majorité de la population a longtemps soutenu l’union de ces anciens opposants contre la coalition de Joseph Kabila. « Nous sommes impatients de vous voir à pied d’oeuvre pour des actions concrètes en faveur de notre population. Restez uni pour l’intérêt du peuple. Bon vent à vous », commente Eric UNGEY, un internaute sur Twitter. Après plus ou moins trois heures d’entretien avec le Président de la République, Moise Katumbi et Jean-Pierre Bemba sont montés à bord d’un même jet, à destination de Lubumbashi.

Après 18 ans au pouvoir, le camp de l’ancien président a perdu largement la Présidentielle mais a obtenu une majorité écrasante dans les deux chambres du Parlement. Dans l’entendement de la population, une coalition à trois à la tête du pays mettrait définitivement Joseph Kabila hors de la portée du pouvoir en RDC. L’ancien président, de son côté, est resté aphone. Il séjourne actuellement à Lubumbashi où il continue de penser les plaies de sa plateforme qui a visiblement perdu sa majorité après la déchéance de la présidente de l’Assemblée nationale, Jeanine Mabunda, plongeant la coalition dans une crise profonde. Une chose est sûre, la politique congolaise n’a pas fini de surprendre.

POLITICO

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