Lors d’une conférence de presse tenue lundi 18 juillet à Doha, les mouvements politico-militaires tchadiens participant aux pourparlers de paix ont annoncé la suspension de leur participation, dénonçant les conditions du déroulement de ces pourparlers. Ils dénoncent « les manœuvres de déstabilisation » et aussi un agenda « préétabli » par le pouvoir tchadien. Cela alors que le gouvernement a annoncé un nouveau dialogue de paix le 20 août pour ouvrir la voie à des élections.
Lors de la conférence de presse, en présence de plusieurs responsables des mouvements politico-militaires, dont le groupe de Rome, le groupe de Doha et le Conseil national de redressement (CNR), les mouvements ont voulu se prononcer contre l’annonce du gouvernement : selon eux, ce dernier a annoncé, sans aucune consultation préalable, qu’un dialogue de paix national commencerait le 20 août pour ouvrir la voie aux élections.
La décision, prise par environ la moitié des groupes participant aux pourparlers est intervenue moins de 24 heures après l’annonce de l’administration du président Mahamat Idriss Deby Itno.
Deux nouveaux blocs se sont constitués
Les trois groupes politico-militaires reconnus jusqu’ici – Rome, Doha et Qatar – ont implosé et se sont reconstitués en deux nouveaux blocs diamétralement opposés aux contours encore flous, alors que Ndjamena, en fixant la date du dialogue inclusif au 20 août, a annoncé qu’il se fera avec ceux qui veulent.
Le premier bloc compterait en son sein une vingtaine de mouvements politico-militaires. Il a pour noyau dur les principaux groupes rebelles tchadiens qui appartenaient à Rome. Il a suspendu sa participation aux négociations, en posant ses conditions.
Cette suspension du pré-dialogue intervient pour « donner une vraie chance à la paix et faire repartir les discussions sur des bonnes bases ». Cela après un ensemble de dysfonctionnements et « manipulations » diverses, comme l’a expliqué Dossé Bagao lors de la conférence de presse :
Au moment où nos travaux entrent dans une phase cruciale, nous tenons à dénoncer les faits suivants. En premier lieu, le choix de manière unilatérale de la date du dialogue national inclusif et souverain du 20 août 2022. Deuxièmement, les manœuvres de déstabilisation, à savoir les achats de conscience, les intimidations, les harcèlements, les menaces, la désinformation visant à perturber la sérénité des négociations. L’immixtion de la délégation gouvernementale dans la médiation, absence de la médiation depuis le 14 juin 2022, l’absence totale des plénières entre les parties, la création de nouveaux mouvements d’obédience gouvernementale à Doha et les multiples problèmes liés à notre séjour.
Dossé Bagao dénonce «les achats de conscience, les intimidations, les harcèlements, les menaces, la désinformation visant à perturber la sérénité des négociations» à Doha
Ces groupes politico-militaires tchadiens disent avoir l’impression d’être mis devant le fait accompli avec cette nouvelle date, selon Adoum Yacoub, chef du groupe de Rome :
Nous n’avons jamais pu débattre sérieusement entre gouvernementaux et nous, nous avons le sentiment depuis que nous sommes là qu’il y a un programme préétabli pour précisément écarter de ce dialogue un certain nombre de mouvements politico-militaires.
Adoum Yacoub, chef du groupe de Rome à Doha, dénonce un manque de dialogue des autorités à Ouagadougou
La majorité ne suffit pas, « il faut trouver un accord avec ceux qui représentent le plus de danger »
Le deuxième bloc, qui serait prêt à signer l’accord de paix avec Ndjamena, compte 31 signataires qui se présentent comme « la majorité absolue » des participants. Mais problème, selon le politologue tchadien Remadji Hoinathy, ce n’est le nombre qui compte :
« Depuis ces cinq à six dernières années, je ne vois aucun, parmi ces 31 mouvements, qui ait cette capacité justement de se montrer et de représenter un danger réel. C’est un peu simpliste de considérer une majorité mécanique dans ce cas de situation. Quand nous parlons de paix et de réconciliation, il faut absolument trouver un accord avec ceux qui justement représentent le plus de danger à la nation tchadienne. »
Autre problème, selon toujours ce politologue, le fait pour le pouvoir de transition tchadien d’avoir fixé une date pour le dialogue national inclusif tchadien avant la conclusion d’un accord de paix à Doha, contrairement à ce qu’il a toujours dit :
« Le dialogue national inclusif, pendant longtemps, a été calé sur l’accord de Doha. Mais sans accord à Doha, le gouvernement décide de s’engager donc sur une date officielle de dialogue. Ceci simplement donne l’impression que, dès le départ, c’est comme si un accord à Doha n’était pas primordial »
Le politologue tchadien prévient qu’une véritable réconciliation au Tchad demande que l’on tienne compte « des mouvements capables de représenter un danger pour le pays ».