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Prix RFI Théâtre 2022, les textes présélectionnés

Suite à l’appel à candidatures pour la 9e édition du « Prix RFI Théâtre », onze textes inédits ont été présélectionnés pour leurs qualités littéraires, dramaturgiques et leur originalité. Ils seront soumis au vote du jury composé d’artistes et de professionnels, et présidé cette année par Odile Sankara, metteure en scène burkinabè et présidente du Festival Les Récréâtrales. Le Prix RFI Théâtre 2022 sera remis le dimanche 25 septembre, à Limoges, dans le cadre du festival Zébrures d’automne.

De Mireille Davidovici, responsable du Comité de lecture du Prix RFI Théâtre, 

« Quelle part de nous avons-nous perdue pour supporter une telle violence ? » écrit l’un des auteurs des nombreux textes reçus par notre comité de lecture. Sa question rend compte des interrogations récurrentes qui traversent ce théâtre du Sud de la francophonie, de l’Afrique aux terres du Pacifique. Les réponses sont d’une diversité foisonnante : monologues, pièces dialoguées ou slamées, univers réalistes ou poétiques, crus ou métaphoriques… Toujours politique. Loin de baisser les bras, voilà que des écrivain.e.s s’expriment pour sortir du chaos, tenant souvent l’indignation à distance par l’humour ou la parodie. Nous saluons, pour cette neuvième édition, les autrices à présent plus nombreuses à nous confier leurs textes : plus de 15% des 121 textes venus de 19 pays. Si bien que la moisson 2022 atteint presque la parité !

D’année en année, de nouvelles voix s’élèvent qui n’ont de cesse d’alerter; il faut les écouter. Souvent, ces écritures, encore fraîches, ne sont pas encore passées au crible de la mise en voix ou en scène, et demanderaient des aménagements. Mais le comité de lecture s’est donné la mission de défricheur et non de censeur, et il s’attache surtout à révéler les potentiels des textes et à offrir une visibilité à leurs auteurs.

Un travail qui porte ses fruits : quelques uns ont, depuis les dernières éditions, trouvé le chemin des scènes de théâtre grâce, entre autres, à la dynamique de ce Prix qui désigne non seulement un lauréat, mais distingue chaque fois une dizaine d’écrivains. Loin de se décourager, ceux qui ne sont pas élus nous envoient leur dernier opus et nous les en remercions. Les membres du jury et les partenaires de cette aventure littéraire dans l’Hexagone et ailleurs sont des relais pour faire rayonner et vivre ces écritures qui déplacent nos regards et changent notre boussole. Pleines de bruit et de fureur, dynamiques, elles interrogent les formes théâtrales, les détournent, les mettent en panne…

Nous nous sommes attachés aux histoires et à l’Histoire qu’on nous raconte ici avec beaucoup de trouvailles verbales et d’imagination poétique. Des langues s’inventent et dialoguent entre elles et nos modèles théâtraux s’en trouvent dépoussiérés.

Les pièces retenues

Partir ou Pâtir, Cyril Juvenil Assomo (Cameroun)

Une prison. Deux cordes de pendu.Trois voix : Moi, Toi, et Eux. Moi veut en finir avec la vie pour trouver la liberté, Toi ne veut pas la suivre et l’empêche de se tuer… Eux : le maton, organise une purge pour débarrasser le monde ces esclaves devenues inutiles. Quand Moi ressaye de se pendre, la corde lâche…

Dans un dialogue tendu, une situation sans issue, mais où l’instinct de vie l’emporte.

Port-au-Prince et sa douce nuit, Gaëlle Bien-Aimé (Haïti)

Nuit. Un couple fait l’amour avec passion. Au-dehors, Port aux Princes déploie un silence inquiétant. En imagination, ils revisitent la ville et les quartiers qui virent naître leur amour, en des temps tout aussi troublés. Lui voit des horreurs à l’hôpital où il travaille. Elle prévoit de partir vivre sa vie d’écrivaine… En cette dernière nuit, il la prie de s’en aller : « Je ne veux pas que le femme que j’aime soit plantée dans mes ruines ». L’océan ne saurait les séparer.

En sept séquences, et sous ce titre ironique, les affres d’un couple à cran dans une ville invivable…

Ne t’étonne pas si ma lettre sent le sel, Jocelyn Danga Motty (République démocratique du Congo)

Au fil de son périple de migrant, un homme écrit à son petit frère. Une lettre à chaque étape, de Brazzaville à Paris en passant par Tripoli, le naufrage en mer, la Grèce, l’Italie… Il lui raconte les difficultés de cette aventure périlleuse dont il sort vainqueur. Entre les lettres, des dialogues suscités par ses rencontres ou des réflexions laconiques rendent le récit vivant.

Dans cette émouvante relation épistolaire à sens unique, le petit frère reste le port d’attache de l’ainé.

Je reviendrai avec le vent, Basma El Euchi (Tunisie)

Une femme est morte dans son appartement. Sa voix. Elle raconte : son exil à l’âge de six ans, son pays détruit, les odeurs et les lumières de son enfance… Découvrant le cadavre, le fils, de retour après des mois d’absence, appelle son père qui veut se débarrasser au plus vite du corps, effacer ses origines, alors que la mère souhaitait être inhumée au pays. La femme fantôme mêle ses commentaires à leur dialogue… Le fils est pris entre deux feux.

Voix mêlées entre réalité et surnaturel, une dialectique de l’exil se joue ici : intégration forcenée pour le père, nostalgie de la terre natale pour la défunte…

Une femme à coudre, Sandra Élong (Cameroun)

La guerre civile fait rage. Katamba refuse d’accoucher. Elle ne veut pas mettre au monde une fille : enfant du viol, elle subirait le même sort qu’elle. Katamba préfère mourir et voue aux gémonies les deux humanitaires à son chevet. Wendy, médecin, l’incite à accoucher et Katanga, journaliste, préfère s’enfuir devant les soldats qui avancent en « déchirant les femmes ». La parturiente nous livre sa triste histoire et sa colère, accompagnée d’un chœur de voix venues des profondeurs de la forêt.

Katamba symbolise les milliers de femmes du Kivu, violées et saccagées. Sa sourde colère fustige l’inutile compassion des humanitaires, la fascination des journalistes pour l’horreur et l’indifférence du personnel politique…

Les ombres sauvages, Djevens Fransaint (Haïti)

Samuel fait ses adieux à Libellule. Il s’en va faire fortune ailleurs et promet à la jeune fille une vie meilleure. Un flic pourri, Apo, amoureux de Libellule, pousse le jeune homme au suicide en lui dérobant son passeport. Pile, sorte de clown marionnettiste, ramasse la dépouille de Samuel, mais le flic véreux le rattrape et l’accuse d’être responsable de ce suicide. Libellule, quelques années plus tard, dans une maison de passe où elle travaille, se vengera d’Apo…

En décalage avec le réalisme, la pièce dépeint avec cruauté les engrenages de la violence.

Le Lac, Djo Kazadi Ngeleka (République démocratique du Congo)

Que s’est-il passé au lac ? Il y a foule et « ça raconte ». Indéfiniment… Parmi les gens qui parlent et s’agitent, un vieux et un jeune homme entament un débat politique sur l’histoire du Congo, tandis que les racontars vont bon train…Ce lac, centre et sujet de palabres est le lieu de tous les on-dit et rumeurs. `

Une belle énergie se dégage de cette langue foisonnante…

Aomby, Gad Bensalem (Madagascar)

Il était une fois un oiseau fabuleux qui aurait ravi le fils favori du roi en l’arrachant littéralement au sein de sa mère et en crevant les yeux du roi… Trêve de légende : on suit le périple d’un professeur, voyageant vers le sud du pays, pour prendre son poste. Kidnappé par des coupeurs de route, il retrouve parmi eux l’un de ses cousins, qui l’enrôle dans sa bande. Il deviendra voleur de zébus. Son deuxième cousin, ne vaut pas mieux en député corrompu.

Légende et réalité conjuguées rendent compte d’une société clivée et déboussolée par l’incurie d’un État, à l’image du roi aveuglé par l’oiseau de la légende

Collatéral, Fatoumata Sy (Côte-d’Ivoire)

Le fils a fui le pays et la mine de diamant, seule ressource du village. Il espère un meilleur avenir que son père, usé par des années de mine. Sa sœur, demeurée au village, refuse les avances du propriétaire omnipotent de la mine et tombe amoureuse du fossoyeur du village. Elle va le payer cher. Père et mère s’offusquent de cette mésalliance. Quand le fils revient, sa sœur est morte.

Entre le village et la terre d’exil, le présent et le passé, se tisse un drame familial et social

Les mangeurs de cuivre, Bibatanko (République démocratique du Congo)

À Cuivroville, on extrait cuivron et cobalton. Mineur, Amani fait vivre sa femme et ses deux enfants grâce à son dur labeur. Mais, victime d’un accident, il revient invalide auprès de sa famille. La mère, devenue femme d’affaires, fait bouillir la marmite. Amani ne supporte pas son impuissance physique et l’indépendance de son épouse… Les enfants subissent les effets de ce bouleversement.

Des chœurs des différentes communautés mettent en perspective et ancrent l’action dans une réalité sociale et économique.

Bizarroïde, Jean-Paul Tooh-Tooh (Bénin)

Nous sommes dans un pays où la faim débarque dans chaque foyer et ouvre le feu. Les rescapés détalent. Certains se jettent sur la route de l’exil. D’autres offrent leur poitrine à la mort. C’est le cas de Djibril qui s’engage comme mercenaire pour combattre aux côtés des Ukrainiens, moins par conviction que pour nourrir sa famille avec l’argent du contrat. Alors qu’il s’apprête à embarquer malgré les protestations de sa femme, il vit, en rêve, les horreurs de la guerre.

Onirisme et réalité se croisent pour aboutir à un texte pour la paix.

► À lire aussi : L’Haïtien Jean D’Amérique, lauréat du prix RFI Théâtre 2021 pour «Opéra poussière»

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