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Circulation(s): la photographe Silvia Rosi, du Togo vers l’Italie

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Comment trouver et restituer les images manquantes de son histoire de famille ? La photographe Silvia Rosi, née en 1992, a créé un album de famille fictif, « Encounter », pour rendre visibles les traces de la migration de ses parents du Togo vers l’Italie.

Dans l’exposition, le marché de Lomé fréquentée par la mère de Silvia Rosi entre en dialogue avec la technique du port sur la tête, l’expérience de l’exil en Italie et les codes artistiques des légendaires « portraits en studio » en Afrique de l’Ouest. Tout cela, la fille fait revivre et fusionner dans une création résolument contemporaine.

RFI : « Encounter » signifie « Rencontre ». Quel est pour vous le véritable sujet de votre exposition ?

Silvia Rosi : Encounter est un projet autour d’un album de famille. Je m’inspire d’images de ma famille. Surtout du Togo, mais aussi de mes parents ici en tant que jeunes migrants en Italie. Je mets en scène ces images en utilisant mon propre corps et en jouant le rôle de ma mère et de mon père quand ils étaient jeunes, pour raconter leur voyage du Togo vers l’Italie.

À quel moment franchissez-vous la frontière entre un album de famille et une œuvre artistique ?

Mon inspiration a toujours été l’album de famille. Au Togo, beaucoup d’images de ma famille sont prises en studio. Les membres de ma famille vont au studio du photographe, se font tirer le portrait, puis paient un petit tirage d’environ 1 euro et le ramènent chez eux. En regardant la qualité scénique des images de l’album de famille, j’ai décidé de réaliser quelque chose qui soit similaire. Mais, j’ai décidé de faire le portrait de moments qui ne soient pas trop des moments heureux. Car habituellement, les images de l’album de famille ne reflètent pas vraiment la complexité de l’expérience d’une personne. J’essaie de montrer une autre facette de la vie de famille.

Vue de l’exposition de Silvia Rosi : « Encounter », dans le cadre de « Circulation(s) », festival de la jeune photographie européenne. © Siegfried Forster / RFI

Au-delà de l’aspect familial, il s’agit d’abord d’histoires de migrants.

Par exemple, il y a des images qui représentent le moment où ma mère est arrivée en Italie. En particulier, je pense au moment lorsqu’elle a appris l’existence d’une loi qui allait être adoptée par le gouvernement italien et qui légaliserait tous les migrants présents sur le sol italien. Quand ma mère et mon père sont arrivés en Italie, la migration n’était pas très réglementée. Malgré cela, elle a trouvé un emploi dans une famille italienne. Elle faisait le ménage, s’occupait des enfants… Un jour, alors qu’elle était en train de repasser, elle a entendu à la radio qu’ils allaient voter cette loi. Elle est rentrée chez elle et l’a dit à mon père. Ainsi, elle a obtenu des papiers pour rester en Italie. C’était un moment important qui n’était pas présent dans l’album de famille. J’ai alors décidé de le reconstituer, en utilisant une radio et en jouant le rôle de ma mère.

Vous êtes née en Italie. Aujourd’hui, vous vivez entre Londres et Modène, entre l’Angleterre et l’Italie. Vous êtes diplômée d’une licence de photographie du London College of Communication et lauréate des prix Jerwood/Photoworks et Portrait of Britain du British Journal of Photography en 2020. Quelle est l’importance du Togo dans votre vie artistique ?

Le Togo est très important, parce que je ne suis pas née au Togo. Mais la plupart des membres de ma famille y vivent. Pour moi, il y a également un lien avec le Togo pour mieux comprendre mon identité en Europe. Le Togo est définitivement très important dans ce sens.

Détail d’une photographie de Silvia Rosi dans l’exposition « Encounter ». © Silvia Rosi

Quand on regarde vos photos, on pense forcément aux grands photographes africains comme Malik Sidibé, Seydou Keïta, Samuel Fosso… Vous inscrivez-vous dans cette tradition des « portraits en studio » d’Afrique occidentale ?

Non, je ne pense pas pouvoir me considérer comme une photographe de studio ouest-africain, mais j’emprunte beaucoup de l’esthétique de cette photographie. Je pense que le processus de création de ces images réalisées par ces photographes très célèbres est le même que celui par lequel ma propre famille est passée. Par exemple, ma mère avait l’habitude d’aller au studio du photographe quand elle était enfant. Elle y allait souvent le dimanche pour se faire tirer le portrait. Ou simplement avec des amis pour faire une photo. Ce type de photographie me connecte à un moment de l’histoire de ma famille que je n’ai pas vécu, mais que je peux essayer de recréer par la mise en scène.

Quelle était la réaction la plus étonnante que vous avez reçue lorsque vous avez montré vos photos au Togo ?

C’était par rapport à la photo avec les tomates. Quelqu’un m’a dit d’avoir reconnu dans cette photo la façon comment les tomates sont présentées sur les marchés d’Afrique de l’Ouest. Au Togo, j’ai vu les vendeurs les présenter de manière sculpturale, par exemple sous forme de pyramide. En Italie, c’était par trois. Cela signifie qu’ils les ont déjà pesées et qu’on peut acheter tout de suite une certaine quantité. Les gens ont reconnu plusieurs éléments comme celui-là dans mes photos. C’était très surprenant pour moi.

[Vidéo] Le photographe Samuel Fosso en un mot, un geste et un silence
Samuel Fosso, portrait du photographe franco-camerounais en un mot, un geste et un silence. © Siegfried Forster / RFI

► Encounter, exposition de Silvia Rosi dans le cadre de Circulation(s), festival de la jeune photographie européenne, jusqu’au 29 mai au Centquatre à Paris.

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