À Madagascar, plusieurs organisations de la société civile réclament la libération d’un enseignant de la ville de Mananjary, au sud-est de l’île, dévastée par le cyclone Batsirai en février. L’enseignant avait dénoncé des détournements d’aide alimentaire dans plusieurs post Facebook et alerté l’opinion publique. La société civile dénonce une instrumentalisation de la loi sur la cybercriminalité afin de faire taire toute voix dissonante.
De notre correspondante à Antananarivo,
Jeannot Randriamanana a été mis sous mandat de dépôt le 3 mars, puis condamné à deux ans de prison ferme le 17 mars, soit le jour même de son procès. Cet enseignant au collège de Mananjary, est également membre d’une plateforme de la société civile qui défend les droits socio-économiques des populations vulnérables, ainsi que d’un parti politique faisant aujourd’hui partie de l’opposition.
Jeannot Randriamanana est connu localement pour avoir dénoncé dans des publications sur Facebook, fin mars, des détournements d’aide alimentaire d’urgence destinée aux sinistrés du cyclone Batsirai dont il aurait été témoin. Mais ce n’est pas pour cette raison qu’il est à présent sous les barreaux.
« En sa qualité de défenseur des droits de l’homme, il a fait des investigations dans les districts de Nosy Varika concernant les écoles, car il travaille particulièrement sur les droits des enfants, explique Volahery Andriamanatenasoa, directrice des Programmes au Centre de recherches et d’appui pour les alternatives de développement – Océan Indien (CRAAD-OI), une association que l’enseignant connaissait bien car sa propre plateforme est une antenne locale du CRAAD-OI. Jeannot Randriamanana a alerté sur le mauvais état des infrastructures des établissements scolaires, avec des enfants qui étudiaient par terre entre autres, et a publié les résultats de son investigation sur son compte Facebook. »
« Ignorance du rôle et des devoirs d’un défenseur des droits de l’Homme »
L’enseignant a ensuite été poursuivi pour diffamation et usurpation de fonction de journaliste par la députée de Nosy Varika et le chef de circonscription local : les deux ont estimé qu’il n’était pas habilité à mener de telles investigations et qu’il portait préjudice injustement aux autorités.
« En tant que son défenseur, je dois dire que toutes ces accusations ne reposent que sur l’ignorance ou méconnaissance du rôle et des devoirs d’un défenseur des droits de l’Homme, réagit son avocat, Me Denis Franconio. Aucune preuve et charge n’ont été constituées dans ce dossier. Nous demandons sa libération immédiate et sans condition. »
Lalatiana Rakotondrazafy, ministre de la Culture et de la Communication, a déclaré ne pas vouloir commenter une procédure judiciaire en cours. « D’un point de vue plus personnel, je trouve la peine élevée, mais si c’est ce que prévoit le code pénal, je ne vais pas à son encontre. »
Pour Ketakandriana Rafitoson, la directrice exécutive de Transparency International (TI), « il s’agit d’une instrumentalisation de la loi sur la cybercriminalité pour protéger les plus puissants ».
Blague courante autour de la prison
Depuis l’état d’urgence sanitaire lié au covid-19, prononcé en 2020, de plus en plus d’internautes sont inquiétés et poursuivis pour leurs propos tenus sur la toile. À tel point que cela en est devenu une blague courante : sur les réseaux sociaux on commente régulièrement les publications avec le mot « gagazo », soit diminutif de « mangahazo » qui signifie manioc en malgache… le repas servi en prison. Une façon ainsi de dire « attention à ce qui est dit », sous couvert d’humour.
Les lanceurs d’alerte les plus actifs sont ceux qui ne sont pas sur le sol malgache. À Madagascar, ils ont la vie dure : du Dr Stéphane Ralandison, qui avait critiqué l’efficacité thérapeutique du Covid Organics (boisson qui, selon le président de Madagascar Andry Rajoelina pourrait prévenir et guérir la maladie) sur des post Linkedin en 2020, en passant par Clovis Razafimalala, activiste environnemental. Ce dernier qui avait dénoncé des coupes de bois de rose sur sa presqu’île à l’est de Madagascar en 2018 : tous ont été inquiétés ou condamnés.