Les épisodes climatiques récents ont éclipsé le reste de l’actualité à Madagascar. À commencer par la sortie du premier des quatre rapports d’audit réalisés par la Cour des comptes sur l’utilisation des fonds consacrés à la riposte Covid-19. Quinze jours après et face au peu de réactions dans l’exécutif, les langues se délient chez les partenaires techniques et financiers, préoccupés par les résultats du premier audit et par l’absence de diffusion des trois autres. Tous ont requis l’anonymat.
Avec notre correspondante à Antananarivo, Sarah Tétaud
À chaque suspicion d’irrégularité soulevée par le rapport, une même justification ou presque, rédigée par l’administration malgache : « Situation d’urgence extrême ». Une réponse qui n’a semble-t-il convaincu aucun bailleur. « C’est une excuse qui est utilisée pour implémenter de mauvaises pratiques financières et faciliter la fraude, le gaspillage et les détournements de fonds. Nous ne sommes pas dupes. Même en temps de crise, les procédures doivent être respectées », affirme un premier partenaire.
« L’argent est géré comme s’il n’y avait pas de règles de finances publiques »
Conséquences, plusieurs bailleurs, refroidis par cette gestion opaque des fonds Covid-19 et le manque de redevabilité vis-à-vis des donateurs, envisagent sérieusement de suspendre le décaissement d’aides budgétaires promises. « Toutes ces informations présentées dans le rapport d’audit participent à déconstruire notre confiance envers le gouvernement malgache », déplore le représentant d’un second bailleur. « L’argent est géré comme s’il n’y avait pas de règles de finances publiques. On paie le prestataire sans avoir de contrat, sans justificatif, sans vérifier si les choses ont été livrées. Aller mettre de l’argent dans le budget de l’État après avoir lu ce rapport, ce serait… » Malvenu ? Fou ? Indécent ? Reproduire les erreurs du passé ? Tout comme les décaissements, la phrase est laissée en suspens.
La multiplicité des acteurs intervenant dans la gestion des fonds Covid-19 soulève elle aussi des interrogations. « On ne savait plus qui était censé gérer quoi. Tout le monde s’immisçait dans tout. Nos interlocuteurs changeaient en permanence. Tel fonds qui devait être géré par le BNGRC [Bureau national de gestion des risques et des catastrophes, NDLR] se retrouvait du jour au lendemain géré par la présidence. Ce manque de clarté crée une cacophonie totale et se ressent automatiquement en termes d’efficacité de la réponse sur terrain », se souvient un responsable projet au sein d’une grosse organisation. Et d’ajouter : « Le même schéma est en train de se reproduire en ce moment avec la gestion de l’urgence post-cyclones. »
« Un très mauvais signal à un an et demi d’une année électorale »
Cependant, et il faut le souligner, chaque point soulevé par la Cour des comptes n’est à l’heure actuelle qu’une suspicion. « Oui, mais c’est la vision d’ensemble qui est grave », insiste un dernier bailleur. « Ce mépris des règles de finances publiques, c’est un très mauvais signal à un an et demi d’une année électorale. »
Depuis 2018, la contribution des partenaires techniques et financiers au budget de l’État, sous forme d’appui budgétaire, est d’ailleurs en chute libre.
Désormais, les regards se portent sur les trois autres rapports qui ont été rédigés. L’un d’entre eux traite des passations de marchés publics. Ils auraient, d’après nos sources, été interdits de publication en l’état par la présidence, car jugés trop compromettants. Cependant, d’autres sources, officielles cette fois, affirment que ces rapports seront dévoilés prochainement. Mais seulement « après révision et correction de la primature et du ministère de la Justice ». De quoi questionner sur l’indépendance de la Cour des comptes.