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«Nous, étudiants!», de Rafiki Fariala, «le premier film centrafricain à la Berlinale»

La Berlinale, l’un des plus importants rendez-vous du cinéma au monde, a remis son palmarès, mais le festival continue jusqu’au 20 février. La section Panorama Dokumente montre le premier film centrafricain jamais présenté au Festival international du film de Berlin et d’ailleurs très acclamé par le public. Entretien avec Rafiki Fariala, 24 ans, sur « Nous, étudiants ! », une plongée très réussie dans le campus de l’université de Bangui.

RFI : Nous étudiants ! », que signifie le point d’exclamation dans le titre pour votre film ?

Rafiki Fariala : C’est vraiment une manière de nous affirmer. C’est une manière de dire : nous sommes là, nous, jeunes étudiants à l’université de Bangui.

Lors de votre dernier film, You and Me, présenté en 2019 au Fipadoc, vous nous disiez que la plupart de gens ne savent même pas trouver la République centrafricaine (RCA) sur la carte. Avec votre sélection à la Berlinale 2022, avez-vous le sentiment que vous avez mis le cinéma centrafricain sur la carte internationale du cinéma ?

Je l’affirme. Il n’y a jamais eu un film centrafricain à la Berlinale. C’est la première fois qu’un film de la République centrafricaine passe au Festival international de Berlin. Pour nous, c’est une manière de mettre en valeur encore plus la culture centrafricaine et de l’indexer encore plus en disant : nous, étudiants de la République centrafricaine, nous sommes là et nous nous présentons à l’international. Nous montrons notre culture au monde entier.

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Votre film commence avec un grand plan sur les yeux d’un étudiant qui va nous chanter une chanson. Qu’avez-vous pu lire dans les yeux et le cœur de ce jeune ?

Présenter cet œil, c’est nous présenter nous et dire : regardez cet œil innocent, cet œil de jeune qui cherche par où se présenter, par où s’affirmer, présenter son innocence de jeune. Et dire ses rêves, ses ambitions, ses espoirs, ses difficultés. Que signifie être un étudiant à l’université de Bangui ? Tout est dans ce regard, derrière la caméra, et devant la caméra.

«Nous, étudiants», de Rafiki Fariala, présenté à la Berlinale 2020. © Makongo Films

Nous, étudiants ! aborde beaucoup de choses : la corruption à l’université, la vie quotidienne des étudiants, les premiers amours… Qu’est-ce qui a déclenché cette envie de nous immerger dans ce campus université à Bangui ?

Le film n’a pas de but politique. C’est un film qui parle de nous, de notre quotidien, de nos rêves. Cela n’empêche pas que dans notre vie, nous avons des difficultés. Certains professeurs sont presque toujours absents. Les jeunes filles sont harcelées par certains professeurs et ne peuvent pas avancer. Les garçons ne peuvent pas s’approcher des filles à l’université, parce que les filles sont convoitées par les professeurs et elles doivent (refaire) la première année. Nous dormons sur les tables-bancs. Les professeurs sont toujours absents, parce qu’ils sont mal payés et préfèrent travailler dans les universités privées. Du coup, nous sommes coincés, mais nous essayons à travers ce film raconter notre quotidien, malgré les difficultés, malgré le fait qu’on a une seule université et que les choses sont très difficiles.

La Centrafrique a une superficie de 623 000 kilomètres carrés, mais à l’université, nous sommes entassés comme des sardines, parce qu’il n’y a pas assez de tables-bancs. Malgré tout, on essaie quand même d’étudier et on se dit : les choses doivent avancer, nous devons avancer, parce que ce ne sont pas les vieux qui vont changer les choses, mais la jeunesse. Donc, il faut que nous jeunes on puisse avoir la parole, avoir de la place, pour que demain, nous puissions construire le pays, à notre manière.

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Dans votre filmographie, la nourriture tient une place importante. Par exemple, il y a cette scène où un yaourt descend de la tête d’un vendeur ambulant dans l’intimité de deux jeunes amoureux partageant le yaourt d’une façon très particulière. Qu’est-ce que cela nous révèle sur l’état d’esprit et le comportement de jeunes Centrafricains ?

C’est vraiment notre culture. Cela permet de montrer aussi que nous nous débrouillons en tant que jeunes, malgré toutes les difficultés que nous subissons à l’université et que nous endurons dans la vie quotidienne de ce pays qui a traversé beaucoup de crises et de chaos politiques. Nous mangeons ce que nous avons. Nous faisons avec les moyens de bord. Ce yaourt, par exemple, si c’étaient des jeunes faisant de grandes études ou dans un pays bien développé ou des étudiants avec beaucoup d’argent, ils mangeraient peut-être des hamburgers avec leur copine ou leurs amis. Nous, on fait avec ce que nous avons. Le yaourt, c’est pour dire : « ça, c’est nous ». C’est notre culture, c’est ce que nous mangeons. C’est notre manière de vivre. C’est notre pays qu’on met en valeur.

Abigaelle Benicia Mamadou et Aaron Koyasoukpengo dans «Nous, étudiants», de Rafiki Fariala, présenté à la Berlinale 2020. © Makongo Films

Votre film aborde aussi l’injustice (« ceux qui produisent la richesse n’en profitent pas »), la corruption, les rêves des jeunes, le problème de l’avortement en citant un étudiant : « Ce n’est pas un pays où l’on a envie de faire naître un enfant, d’abord il faut changer le pays ». Qu’est-ce que vous attendez comme réaction quand vous allez montrer ce film en Centrafrique ?

Dans le milieu des jeunes, on va se reconnaître, parce que cela parle de nous. C’est notre vie. J’attends aussi la parole des personnalités, qu’ils puissent se reconnaître et peut-être changer les choses. À la manière de cette jeunesse qui espère un avenir meilleur. Bien sûr, il y a des moments où l’on indexe des choses dans l’université. Est-ce que cela va être apprécié par les « grands » ? Peut-être pas, mais le film n’a pas de but politique ou l’intention d’attaquer ou dénoncer. Il parle de nous, de nos difficultés, de nos rêves et de nos espoirs. C’est nous !

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En Centrafrique, ce film sera-t-il plutôt perçu comme un documentaire ou une fiction ?

C’est un film documentaire, même s’il y a des scènes dans le film que j’ai reproduites sous forme de fiction. Par exemple, la scène avec Aaron dans le commissariat ou la scène avec Nestor au marché où il se fait arrêter par des policiers. Ce sont des choses que je ne peux pas attraper directement. Mais cela reste la réalité que les mêmes personnages, mes amis, ont vraiment subie et vécue sur le terrain. Nous n’avons rien changé, rien inventé. Tout est la vérité.

Où et comment votre film sera-t-il projeté ou montré en Centrafrique ?

Pour le moment, le film fait sa première mondiale au Festival international de Berlin, mais ce film doit être vu également chez nous. C’est mon distributeur qui est en charge de distribuer le film. Il sera sûrement vu dans le cadre de festivals afro-européens qui se déroulent chaque année à Bangui. Et j’aimerais bien que ce film puisse passer à l’université de Bangui, et, pourquoi pas, en présence de personnalités de l’université et du pays.

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