Gilles Yabi, vous organisez avec l’institut Jacques-Delors, un « think tank » européen, une table ronde virtuelle le 16 février, alors que s’ouvrira le lendemain le sommet Union européenne – Afrique. Pourquoi avoir choisi de parler spécifiquement des migrations ?
C’est une bonne question. On a parfois l’impression que les États européens et l’Union européenne sont obnubilés par le sujet des migrations alors que les pays africains n’en font pas leur priorité. Pour nous, même s’il y a clairement d’autres sujets cruciaux comme les politiques économiques et commerciales qui ne favorisent pas la diversification économique des pays africains, nous ne pouvons pas négliger le thème de la migration, qui se traduit par des drames humains récurrents. Sur les routes migratoires vers et dans l’Europe, les 2 720 décès enregistrés en 2021 selon l’Organisation internationale pour les migrations en font l’année la plus meurtrière dans la région depuis 2018.
Chaque année, ce sont des centaines d’Africains, des jeunes hommes, des jeunes femmes et même des enfants qui disparaissent en mer. Alors, oui, le thème de la migration et de la mobilité ne se résume pas au sort de ceux qui tentent l’aventure de la migration irrégulière potentiellement mortelle, mais pour beaucoup de pays du continent, ces drames devraient représenter une priorité, parce qu’ils engagent autant leur responsabilité que celle des pays de destination finale et les pays intermédiaires. L’Institut Delors a publié un rapport intéressant sur les politiques européennes en matière de migration et il nous a paru utile de croiser les regards sur le sujet.
Le rapport constate que la négociation sur le Pacte européen sur la migration et l’asile est dans une impasse, ce qui favorise les zones de précarité et de non droit…
Le document explique que « malgré l’importance des fonds consacrés par l’Union à améliorer les conditions de réception et d’application des procédures d’accès à l’asile, les délais d’attente restent dans certains pays, comme la Grèce, incompatibles avec la protection des droits fondamentaux ». Par ailleurs, l’Union et ses États membres négocient avec des pays tels que la Turquie et la Libye des accords qui conduisent à dissuader les demandeurs potentiels d’atteindre les frontières européennes.
Les auteurs estiment que « les dérives dans l’application du droit existant de l’asile, l’affaiblissement de la confiance entre les États membres pour l’exercice de la libre circulation dans l’espace Schengen… expriment tous un conflit profond de valeurs qui tend à opposer le besoin de sécurité des citoyens européens aux idéaux sur lesquels se fonde leur appartenance à l’Union européenne. »
Le Pacte mondial sur les migrations adopté le 17 décembre 2018 par les Nations Unies a été rejeté par une vingtaine d’États, dont les deux tiers font partie du continent européen…
En effet et cela témoigne de l’indétermination européenne sur la question. Le rapport rappelle quelques données concernant notamment la France. Ces dix dernières années, elle a accueilli près de 400 000 personnes au titre de la protection internationale. Ce nombre est conséquent mais reste très éloigné de ceux recensés dans les pays limitrophes de ceux qui sont à l’origine des flux de réfugiés : 3,7 millions de réfugiés syriens en Turquie par exemple ou 1,4 millions de réfugiés afghans au Pakistan. 86 % des réfugiés dans le monde vivent dans les pays dits en développement.
Le document de l’Institut Delors, en parlant de la France toujours, rappelle que la société ne fonctionnerait pas sans les migrants et les réfugiés, donnant l’exemple du système de santé qui ne fonctionnerait pas sans l’apport de professionnels de santé étrangers. Dans de nombreux petits hôpitaux, le maintien des services d’urgence est dépendant de l’accueil de médecins réfugiés. Les élus locaux en France le savent très bien, les citoyens d’un certain âge qui fréquentent assidûment les hôpitaux le savent aussi.
Alors que la précampagne électorale en France est, comme tous les cinq ans, rythmée par des propos de certains candidats au mieux indélicats et caractérisés par la falsification des faits concernant les populations d’origine étrangère, il est bon de faire de la place pour des conversations saines basées sur des faits, des analyses et un sens partagé de notre humanité commune.
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