« J’ai grandi avec l’Ubuntu », raconte le photographe sud-africain Sabelo Mlangeni, né en 1980 à Driefontein. Ubuntu, terme issu des langues bantoues, peut être traduit comme « faire humanité ensemble ». Plus de trente ans après la victoire de Nelson Mandela contre l’apartheid, la philosophie ancestrale Ubuntu popularisée par le leader sud-africain investit actuellement le Palais de Tokyo à Paris. « Ubuntu, un rêve lucide » réunit une vingtaine d’artistes, dont Sabelo Mlangeni.
RFI : Vous êtes connu pour vos images évoquant l’histoire de l’apartheid, des personnes invisibilisées, la situation des homosexuels noirs ou des migrants en Afrique du Sud. Quelle histoire raconte votre série photographique The Royal House of Allure ?
Sabelo Mlangeni : Cet ensemble d’œuvres s’appelle The Royal House of Allure, comme le véritable nom de cette maison de refuge à Lagos. J’ai réalisé cette série en 2019, lors d’une résidence au Nigeria. Mon point de départ était d’enquêter sur la façon dont les médias sociaux influencent la culture des célébrités à Lagos. Je me suis intéressé aux personnes qui repoussent les limites. Cette enquête m’a conduit à ce lieu de refuge pour les personnes LGBTQI+. Mais quand on arrive dans un espace, quand on y est physiquement, les choses changent. Quand je suis arrivé à Lagos, la personne transgenre que je suivais sur Instagram n’a pas répondu à mes messages et à mes mails. Alors je devais soudainement retourner aux médias sociaux et essayer de la retrouver. Cette enquête m’a finalement conduit à cette maison sécurisée pour les LGBTQ+ à Lagos. Et j’étais également intéressé par l’idée de construire des ponts. Pour cela j’ai choisi cette idée d’un « portrait familial » élargi.
Quel est le lien entre la philosophie Ubuntu et votre art ?
C’est mon approche photographique. Au fil des ans, j’ai appris que les photographies ne sont pas seulement puissantes, mais il y a aussi une dimension violente dans la photographie. D’où l’importance de la philosophie Ubuntu et la bienveillance envers les autres. Mon processus de travail en tant que photographe prévoit l’idée de passer du temps avec les gens que j’ai choisis ou avec la communauté dont j’ai choisi d’en faire partie. Je mets à l’honneur une idée d’intimité. Je souhaite abattre le mur entre le photographe et les gens. Pour moi en tant qu’artiste, l’idée d’Ubuntu se joue entre ces lignes.
À quel moment et dans quelles circonstances avez-vous entendu pour la première fois le mot « Ubuntu » ?
En tant que Sud-Africain, l’idée d’Ubuntu est quelque chose qui a toujours existé. Elle fait partie de notre vie quotidienne. Il existe un dicton : « Umuntu Ngumuntu Ngabantu », qui signifie : « Nous sommes grâce aux autres ». Pour moi, en tant que Sud-Africain, l’Ubuntu fait partie de ma vie, de mon éducation et de ma communauté. Je suis né à Driefontein, mais quand j’ai déménagé à Johannesburg, l’esprit Ubuntu était là aussi. Dans cette grande ville, j’ai trouvé une nouvelle communauté et des gens qui m’ont accueilli et donné un espace au sein de leur communauté.
► Ubuntu, un rêve lucide. Exposition au Palais de Tokyo à Paris, du 26 novembre au 20 mars 2022. Avec les artistes Jonathas De Andrade, Joël Andrianomearisoa, Michael Armitage, Bili Bidjocka, Kudzanai Chiurai, en collaboration avec Khanya Mashabela et la participation de Kenzhero, Nolan Oswald Dennis, Lungiswa Gqunta, Frances Goodman, Kudzanai-Violet Hwami, Richard Kennedy, Grada Kilomba, Turiya Magadlela, Ibrahim Mahama, Sabelo Mlangeni, Meleko Mokgosi, Serge Alain Nitegeka, Daniel Otero Torres.