En Guinée, les concertations nationales se poursuivent ce lundi 20 septembre 2021. Une série de rencontres initiées par le Comité national du rassemblement et du développement (CNRD) qui a renversé le président Alpha Condé le 5 septembre, pour préparer la transition. Me Kpana Emmanuel Bamba a participé à ces échanges en tant que président de la Ligue guinéenne des droits de l’homme (Liguidho). Pour lui, la lutte contre l’impunité doit être une priorité des nouvelles autorités.
Qu’avez-vous pensé de la rencontre entre le colonel Mamady Doumbouya et les responsables du Comité national du rassemblement et du développement (CNRD) ?
Kpana Emmanuel Bamba : On a distribué seulement la parole à quelques-uns, ce qui n’a pas permis à bon nombre de participants de pouvoir exprimer leur point de vue.
Qu’est-ce que vous auriez voulu dire aux responsables de la junte ?
Nous voulions transmettre un message axé principalement sur deux choses : la lutte contre l’impunité des crimes de sang et la lutte contre l’impunité des crimes économiques dans notre pays. Quand vous pensez au cas du massacre du 28 septembre [2009, les forces armées guinéennes du capitaine Moussa Dadis Camara prenaient d’assaut un stade de Conakry – 150 personnes tuées, plus de 150 viols et 1 400 blessées] dont le dossier dort encore le tiroir, quand vous prenez le massacre de Zogota [2012] où les policiers sont allés abattre nuitamment les villageois au sud du pays [suite à une protestation contre la politique de recrutement du consortium Vale-BSGR en Guinée (VBG)], il y a aussi le cas des manifestations qui ont été réprimées dans le sang…
Manifestations de 2020 dans le cadre de modification de la Constitution et du troisième mandat voulu par Alpha Condé. Amnesty International parle d’au moins 50 morts…
Oui. Ça, ce sont les chiffres officiels. Mais il y a eu des morts anonymes. Parlons aussi des crimes économiques. Voilà un pays qui est naturellement riche, mais artificiellement pauvre. Et nous voudrions dire aux autorités actuelles qu’il faudrait mener une lutte sans merci contre ceux qui ont détourné des deniers publics, dont les biens certainement sont cachés en Guinée ou à l’étranger.
Est-ce qu’il y a eu des engagements dans ce sens ?
Dès la prise du pouvoir, étant donné que le président du CNRD avait dit que « La justice sera la boussole qui guidera chaque citoyen en Guinée », nous pensons que nous allons doter la justice de moyens suffisants pour lui permettre de lutter farouchement contre la corruption et les crimes de sang en République de Guinée.
Donc, concrètement, qu’attendez-vous de la junte ?
Nous attendons à ce que la justice et les autres institutions soient fortes. Nous attendons à ce que la transition ait un délai raisonnable pour permettre de poser les fondements d’un véritable État de droit. On pourrait aller vers ce qu’on appelle justice-vérité-réconciliation. Quand vous prenez par exemple le cas du régime de Sékou Touré, en matière de procédure pénale, il y a des délais de prescription. En matière criminelle, la loi nationale guinéenne parle de dix ans. Donc, il y a des crimes qui pourraient rester impunis. Donc, il fallait mettre en place les mécanismes de justice transitionnelle pour pouvoir couvrir l’ensemble des crimes qui ne pouvaient pas être portés devant les organes judiciaires habituels.
Je pense que la junte peut mettre en place un mécanisme pour que ces anciens ministres et le président Alpha puissent répondre de leurs actes
Est-ce que vous que vous faites partie de ceux qui souhaiteraient que le président renversé, Alpha Condé, et d’autres responsables de son régime soient jugés ici en Guinée ?
Oui, et c’est pourquoi nous allons demander aux autorités transitoires de le libérer et de le livrer à la justice. Malheureusement, il avait œuvré pour qu’il n’y ait pas de Haute cour de justice, mais je pense que la junte peut mettre en place un mécanisme pour que ces anciens ministres et le président Alpha puissent répondre de leurs actes devant un tribunal compétent.
Vous évoquiez un sombre épisode de l’histoire de la Guinée, le massacre du stade de Conakry du 28 septembre 2009. Plus de 150 personnes tuées, plus de 100 filles et femmes violées, lors d’un rassemblement d’opposants. Est-ce que vous avez l’espoir que la junte fasse avancer le dossier et de quelle manière ?
Oui, en accélérant la procédure de construction d’un immeuble qui doit abriter les audiences de l’organisation de ce procès-là, pour que ce procès tant attendu par les victimes, la communauté nationale et la communauté internationale puissent enfin se tenir.
Juste après la prise de pouvoir par le CNRD, la junte a fait libérer 79 prisonniers. C’est un bon signe pour vous ?
Pour nous, c’est un bon signe parce que tout cela contribue à apaiser le climat qui était délétère. Même si la junte pourra par des mécanismes appropriés voir si, au cours des manifestations dont on a parlé tout à l’heure, s’il y a des gens qui ont engagé leurs responsabilités pénales. Si on ne met pas fin à l’impunité, alors d’autres auteurs présumés ou éventuels candidats pourraient certainement commettre les mêmes infractions. Et dans ce cas-là, nous serons dans un perpétuel recommencement.
Nous pensons que la lutte contre l’impunité dont on a parlé tout à l’heure doit aller aussi jusque dans le camp du colonel lui-même
Est-ce que vous savez combien de personnes restent en prison pour des motifs politiques ?
Malheureusement, nous n’avons pas un chiffre officiel. Mais on n’a parlé que du cas de Conakry alors qu’il y avait des manifestations généralisées à travers le pays. Et nous pensons qu’il faut étendre cette action sur tout le territoire national.
Est-ce que vous vous inquiétez également du bilan du coup d’État du 5 septembre ?
Oui, et nous pensons que la lutte contre l’impunité dont on a parlé tout à l’heure doit aller aussi jusque dans le camp du colonel lui-même. Si dans son camp, il y a aussi des gens qui ont engagé leur responsabilité pénale, il faut qu’ils soient traduits en justice. Pour que les autorités de la transition soient crédibles, elles doivent commencer par balayer devant leur porte.
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