En Afrique du Sud, des accords ont été passés avec les laboratoires Johnson & Johnson ou encore Pfizer pour réaliser les dernières étapes de production de vaccins Covid de façon locale. Mais l’OMS veut aller plus loin, et installer un centre de transfert de technologie. Il permettra de partager toute la technique du vaccin à ARN messager, vaccin qui a prouvé son efficacité contre le coronavirus et est porteur d’espoir pour d’autres maladies.
Avec notre correspondante à Johannesbourg, Claire Bargelès
C’est une start-up basée au Cap, Afrigen, qui a été choisie pour devenir un centre de formation. Selon Martin Friede, de l’OMS, le transfert de technologie devrait commencer d’ici les prochains mois. « Pour cela, on a trouvé certains universitaires, mais aussi des gens qui ont quitté l’industrie. Ils ont le savoir-faire dans leur tête, mais ils ont besoin d’une infrastructure, par exemple l’infrastructure qu’on va établir à Afrigen, pour mettre en œuvre le vaccin. »
Une fois Afrigen en possession de ce savoir, elle pourra le partager avec l’entreprise sud-africaine Biovac, pour lancer la production à une échelle industrielle.
Glenda Gray, présidente du Conseil sud-africain pour la recherche médicale, se réjouit de cette avancée pour le pays : « Nous voulons aller au-delà de l’assemblage et du conditionnement des vaccins. En développant la technologie de l’ARN messager, nous pourrons soutenir le reste du continent, et aussi travailler sur d’autres agents pathogènes comme la tuberculose, le VIH, ou le paludisme. Cela nous permettra d’être des acteurs de premier plan au niveau mondial. »
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Et selon Martin Friede, Afrigen aura par la suite vocation à former des entreprises de production au-delà du pays : « L’Afrique du Sud a tous les atouts pour devenir un centre de recherche et de développement des vaccins. Mais ce qui est important, c’est que le hub est là d’abord pour l’Afrique. Donc, au début, on veut que les technologies soient transférées vers d’autres producteurs en Afrique, et aussi d’autres producteurs ailleurs dans le monde. »
D’après les différents partenaires, les premières doses 100% sud-africaines pourraient sortir d’usine en 2023.
La crise sanitaire a mis en lumière la dépendance du continent en termes d’approvisionnement en vaccins. Selon l’Union africaine, 99% des vaccins en Afrique sont importés, et ce déséquilibre a eu des conséquences catastrophiques durant la pandémie.
« Afrigen va mettre au point un nouveau vaccin ARN »
C’est donc en théorie une avancée dans la course aux vaccins pour l’Afrique. Mais en pratique, une fois la technologie acquise, il reste d’autres étapes à franchir afin de construire un projet de production soutenable. RFI a interrogé, Marie-Paule Kieny, présidente du « Medecines Patent Pool », une organisation qui vise à améliorer l’accès aux médicaments essentiels dans les pays à revenus faibles. Et elle détaille comment le « hub » espère contourner la question des brevets.
RFI : Quel est l’objectif de ce projet ?
M.-P. Kieny : Le projet, bien sûr, c’est de se rapprocher des producteurs qui ont fait des vaccins basés sur la technologie d’ARN messager, donc Moderna et BioNTech, pour voir si ces sociétés étaient prêtes à donner, à transférer leurs technologies dans le hub. Il s’avère qu’à ce jour il n’y a pas beaucoup d’intérêt de ces producteurs, qui préfèrent garder leur savoir-faire. Mais à côté de ça, on pense que pour le vaccin à ARN, ce n’est pas nécessaire d’avoir accès à des brevets parce que ces technologies n’ont pas été brevetées en Afrique. Donc Afrigen va mettre au point un nouveau vaccin ARN, si je puis dire, en se basant sur des composants qu’on connait.
Réaliser le transfert de technologie ne suffit pas. Que faut-il de plus pour réussir à mettre sur pied une usine de production de vaccins qui tienne la route ?
Construire une usine, et y mettre les bons éléments de technologie, en fait c’est tout à fait faisable. Ça demande du temps, ça demande des bons choix, ça demande de l’argent, mais c’est possible. Mais après ça, ce qu’il faut, c’est que ces usines, qui sont construites pour répondre à un besoin ponctuel, doivent pouvoir continuer à exister quand la demande de vaccins Covid disparait. Parce que sinon, finalement, tout ça, ça se décrépit. Et quand il y aura une autre pandémie après, tout le monde va dire « mais alors qu’est-ce qui se passe ? » Et on pourra dire « ben non, vous savez, ça fait dix ans qu’il ne se passe plus rien, parce qu’il n’y a plus d’intérêt. » Donc en fait l’un des grands défis est un défi politique, c’est de garder l’intérêt dans cette usine, et de continuer à supporter sa mission, même si on se rend compte qu’en fait les vaccins qui sont produits dans une relativement petite structure pourraient être plus chers que ceux qui sont produits par une grande multinationale.
Avec quels financements l’Afrique du Sud va-t-elle pouvoir atteindre ces objectifs ?
Le chiffrage des investissements pour les deux premières années ans pour le développement du hub sont estimés à 40 millions de dollars. Mais après ça, bien entendu, quand il va falloir bâtir l’usine, quand il va falloir transmettre la technologie à d’autres producteurs, ça va augmenter. Dans l’ordre de 100, 200, éventuellement 300 millions de dollars. Alors d’où va venir l’argent ? On commence avec des financements qui viendront de la France, mais après ça il faudra trouver un système d’investissement, et les banques de développement vont pouvoir prêter de l’argent à Biovac. Et bien sûr il faudra aussi que le gouvernement sud-africain investisse aussi, et je pense que le fait qu’il doit investir sera le meilleur témoignage de sa volonté politique d’avancer.
Propos recueillis par Claire Bargelès