Sept millions d’électeurs sont appelés aux urnes ce jeudi 12 août lors d’un scrutin marqué par des violences préélectorales et le déploiement sans précédent de l’armée.
« Je suis un peu effrayée et excitée en même temps », raconte à RFI Beatrice Chola, avocate à Lusaka. Alors qu’elle a l’habitude de voter dans la capitale, cette fois-ci, elle a dû faire un déplacement de huit heures pour déposer son bulletin dans l’urne d’une autre circonscription, celle de Kitwe, dans la Copperbelt, la « ceinture de cuivre » de Zambie. Elle se trouvait dans cette région minière en visite chez sa sœur lorsque les inscriptions dans les listes électorales ont été ouvertes, en novembre 2020. Compilées en un temps record, en trente jours au lieu de six mois, ces listes ont bousculé la population zambienne. À tel point que Beatrice Chola manquait de temps pour rentrer chez elle et s’inscrire dans les bureaux de vote de Lusaka. « Ma soeur m’a alors conseillée de m’inscrire ici, dans la Copperbelt », raconte-t-elle.
De retour dans la région minière pour accomplir son devoir électoral, elle fait part de son incompréhension face à l’arrivée de soldats de l’armée dans ce fief électoral, un endroit clé du scrutin. « À Kitwe, on a déployé 87 hommes en uniforme. Je ne comprends pas pourquoi. Cette ville est trop petite pour justifier un tel déploiement. »
Un déploiement militaire qui passe mal
La raison officielle avancée par les autorités est le maintien de l’ordre. Début août, des violences ont éclaté entre les partisans du PF, le Front patriotique au pouvoir et de l’UPND, le Parti uni du développement national de l’opposition. Ces groupes d’autodéfense, armés de machettes et de haches, sont surnommés les « cadres » et font office de « bras armés » des deux grands partis. Deux militants du PF ont perdu la vie lors des affrontements.
« Ces groupes d’autodéfense intimident parfois les gens dans la rue, les passant à tabac, et parfois ils harcèlent les femmes, ils extorquent les conducteurs, les obligeant à leur verser de l’argent. Si vous refusez, ils vous agressent ou ils brisent les vitres de votre véhicule, c’est la folie ! Parce qu’ils appartiennent à un certain parti politique, ils ont l’impression d’être intouchables et de pouvoir faire ce qu’ils veulent », témoigne l’avocate Béatrice Chola.
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Mais le déploiement de l’armée n’est pas non plus de nature à rassurer la population. « Les soldats devraient rester dans les casernes, c’est à la police de gérer le maintien de l’ordre », estime Mundia Hakoola, directeur exécutif de l’ONG Continental Leadership Research Institute (Institut continental de recherche sur le leadership). À condition toutefois « de demeurer dans le cadre de la loi, et de refuser que ses ordres soient dictés par les hommes politiques », déclare-t-il à RFI.
Des institutions à la botte du pouvoir ?
Arrivé au pouvoir depuis 2015, suite au décès de son prédécesseur Michael Sata, le président Edgar Lungu est accusé par la société civile d’avoir manipulé les institutions pour s’accrocher au pouvoir. Il a multiplié les actes de répression contre la dissidence, infligeant notamment quatre mois de prison à son opposant actuel, Hakainde Hichilema, qui avait contesté sa victoire à la présidentielle de 2016.
Le scrutin de jeudi s’annonce serré entre Lungu et Hichilema, surnommé « HH », ce qui fait craindre de nouvelles violences. « Les gens ont peur, confie Natacha Lungu, étudiante (sans lien de parenté avec le président sortant). Nous n’osons même pas porter certaines couleurs car nous avons entendu des histoires de gens qui ont été passés à tabac pour avoir affiché les couleurs associées à un parti politique qui n’est pas favorable au régime actuel. »
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Ethnicisation du débat
Des inquiétudes ont été exprimées également au sujet de « l’ethnicisation » du débat politique. « Nous avons entendu dire que si les électeurs zambiens votent pour un candidat qui prône les intérêts uniquement de son ethnie, le reste de la population va souffrir », ajoute Natacha Lungu.
Au cours de la campagne, les figures du parti au pouvoir ont ravivé de vieilles accusations selon lesquelles Hichilema est un « tribaliste » qui ne bénéficie pas d’un large soutien au-delà des membres de son groupe ethnique, les Tonga, et ne peut donc pas être considéré comme un leader national.
Mais les difficultés économiques de la Zambie, qui est devenue le premier pays africain à faire défaut sur sa dette souveraine, ont donné au patron de l’UPND sa meilleure chance de briguer la présidence, à sa sixième tentative.
Rivaux de toujours
Hichilema, qui se décrit comme un « self-made man » a mis en avant ses compétences en tant que homme d’affaires et économiste, proposant des remèdes contre les difficultés économiques du pays, qui ont plombé son rival.
Le président Edgar Lungu a, lui, fait campagne sur les investissements dans les infrastructures et sur le contrôle accru des mines de cuivre, principal produit d’exportation du pays. Durant son mandat, le leader du Front patriotique a augmenté les dépenses sociales, malgré les contraintes budgétaires. Une gestion qui est loin de convaincre les économistes.
Bilan économique décrié
« Il y a eu une mauvaise gestion économique, ainsi qu’un appétit implacable pour dépenser les fonds empruntés afin d’honorer les promesses électorales », explique l’économiste zambien Caesar Cheelo. Très endettée auprès de la Chine, la Zambie a aussi été fragilisée par la pandémie de Covid-19. Fin 2020, elle n’arrivait plus à rembourser aucun de ses créanciers, faute d’argent.
« C’est un mélange d’incompétence, de précipitation, de recherche de rente et de corruption qui a contribué à la crise, et qui a érodé petit à petit les acquis économiques qui avaient été gagnés », renchérit Caesar Cheelo.
« Oser rêver »
« La situation économique est devenue si critique qu’il est très difficile pour les petites et grandes entreprises de se projeter vers l’avenir, explique le militant et chanteur Chama Fumba. Pour leur part, les jeunes sont inquiets parce qu’il n’y a pas de croissance. L’enjeu de ce scrutin, c’est d’oser rêver plus grand qu’un poste d’enseignant ou d’infirmier. »
En dix ans, la Zambie, pays minier qui possédait l’une des économies les plus dynamiques du continent, a vu sa monnaie s’effondrer et sa dette grimper à dix milliards d’euros, dans un pays qui compte à peine 17 millions d’habitants. Un gouffre abyssal. Mais les Zambiens n’attendent pas seulement un leader qui les fasse rêver, ils veulent un président ou une présidente qui redresse rapidement le pays.