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SÉCURITÉ

Inde: enquête sur la mort suspecte d’un jeune Congolais à Bangalore

Dans la nuit du dimanche 1er août, la police de Bangalore (sud de l’Inde) arrête un jeune Congolais, soupçonné de trafic de drogues. Quelques heures après, cet homme de 27 ans, Joël Malu, meurt en garde à vue. Dans ce pays où les violences policières sont très courantes, surtout contre la communauté africaine, les conditions de ce décès sont troublantes. Notre correspondant en Inde, Sébastien Farcis, a enquêté.

Il est minuit passé, le dimanche 1er août. Joël Malu et plusieurs de ses amis africains de Bangalore célèbrent l’anniversaire de l’un d’entre eux, dans un appartement du nord de la ville. D’un coup, quelqu’un frappe à la porte de manière très forte, « comme si on voulait la casser », témoigne l’un d’entre eux. Deux policiers débarquent, accompagnés d’un Africain, que la plupart connaissent bien : c’est Mykel Williams, un consommateur et trafiquant de drogue nigérian, qui servirait d’informateur pour la police. Les trois hommes fouillent l’appartement à la recherche de drogue, et n’en trouvent pas. Le ton monte. Ils demandent « où est Herman », un Congolais de Bangalore. Il n’est pas là. « Ils sont donc allés dans la chambre et ont pris mon argent, plusieurs téléphones, les chargeurs », raconte Sabrina (nom d’emprunt), encore sous le choc. Sa sœur et elle auraient ainsi été délestées de 200 000 roupies (2300 euros), en plus de leurs mobiles. « Puis, ils sont partis avec Bless », conclut-elle.

La version de la police contredite

« Bless » est le surnom de Joël Malu, un Congolais de République démocratique du Congo (RDC) de 27 ans qui est mort quelques heures plus tard en garde à vue, au poste de police de JC Nagar, dans des conditions mystérieuses. Le récit de Sabrina, corroboré par d’autres, vient contredire la version apportée par la police. Celle-ci affirme que Joël Malu est un trafiquant de drogue et que des agents l’ont arrêté dans la rue, à bord d’un scooter, alors qu’il était sur le point de vendre ses produits. « Du MDMA (une drogue psychotrope illégale) est tombé de sa poche et nous l’avons attrapé les mains dans le sac », avance la commissaire adjointe de JC Nagar, Reena Suvarna.

Joël Malu lors d’un de ses remises de diplôme, en 2016.
Joël Malu lors d’un de ses remises de diplôme, en 2016. © Facebook / Joël Malu

D’autres témoins, présents à la soirée, démontent cette version des faits. Herman Loméla, un Congolais de 29 ans, a ainsi vu les deux agents arriver avec Mykel dans l’appartement, avant de prendre la fuite. Il les connaît bien, et les craint, car ce sont les mêmes policiers qui l’auraient arrêté et torturé pendant une semaine, en octobre dernier. « L’un d’entre eux s’appelle Santhosh, raconte-t-il. Il m’accusait aussi de trafiquer, mais il n’avait aucune preuve. Alors lui et ses hommes m’ont attaché la tête en bas, m’ont inséré des seringues dans la peau et m’ont brûlé avec de la cire de bougies. J’ai encore des cicatrices », affirme Herman. Au bout d’une semaine, ils auraient demandé à ce Congolais de travailler pour eux, ce qu’il aurait refusé. « Ils m’ont donc relâché, sans enregistrer aucune plainte contre moi. » 

Tentative d’extorsion de la police

Mykel Williams, trafiquant notoire dans le quartier, aurait quant à lui accepté ce marchandage et informerait les policiers sur les autres Africains, une communauté régulièrement stigmatisée en Inde et soupçonnée par la police de faire du trafic de drogue. En cette triste nuit du 1er août, Mykel aurait cherché à « punir les Congolais », selon une source, car l’un d’entre eux sortait avec son ex-petite amie. La fête constituait une bonne occasion pour cela. « C’est lui qui a apporté le MDMA » pour que cela serve de preuve à conviction, affirme cette source, témoin de la scène.

RFI a échangé avec Mykel Williams par messagerie, mais celui-ci n’a pas répondu à nos questions sur le déroulement de la soirée et sur ces accusations.

Après l’arrestation de Joël Malu, Mykel et Santhosh auraient réclamé de l’argent pour la libération du jeune Congolais. « 30 000 ou 40 000 roupies » (345 ou 460 euros), affirme Herman Loméla, qui était en discussion avec eux pendant la nuit. « Il fallait récolter l’argent le soir-même, car si on attendait le matin, le chef de la police allait arriver et cela ferait une autre caisse. »

Ses amis commencent à rassembler les fonds, mais ils n’ont pas le temps d’arriver au poste qu’une sombre nouvelle leur parvient : « la petite amie de Mykel nous a dit que Santhosh avait admis avoir fait une grosse bêtise ». Euphémisme pour dire que Joël Malu est mort pendant la garde à vue.

« Nous n’avons pas touché à Joël »

La cause du décès n’a toujours pas été officiellement établie. L’hôpital où il a été transféré évoque seulement une « crise cardiaque ». Herman Loméla suggère que Joël, en surpoids, a peut-être « succombé » aux coups portés par les policiers. Mais selon Kasongo Musenga, le premier conseiller de l’ambassade de RDC, qui a inspecté le corps, celui-ci ne portait pas de marques visibles de violences.

La commissaire adjointe de JC Nagar, Reena Suvarna, soutient que « {s}es subordonnés n’ont pas touché à Joël. Alors ne parlons même pas de le frapper ! Et personne n’a demandé de l’argent non plus, assure-t-elle. Nous prenons ces affaires de drogue très au sérieux. » Elle rappelle aussi que Joël Malu se trouvait en situation illégale : son visa indien avait expiré en 2015, et son passeport en 2017 – ce qui a été confirmé par l’ambassade de RDC.

Elle n’indique ne pas connaître Mykel Williams, mais RFI a pu se procurer une photo qui montre le Nigérian et le policier local Santhosh Madhugiri boire une bière ensemble, de manière très amicale. Sabrina, qui a vu les agents débarquer pendant la soirée, a reconnu les deux hommes quand on lui a montré la photo.

Une enquête interne est en cours dans les services de police pour déterminer la cause du décès de Joël Malu pendant la garde à vue. L’autopsie a eu lieu, mais le médecin légiste ne peut se prononcer avant d’avoir reçu les résultats des examens d’analyses chimiques.

En attendant, le corps de Joël Malu sera rapatrié, dans le courant de la semaine, pour son dernier voyage de retour au pays.

Le policier Santhosh Madhugiri et le trafiquant Mykel Williams semblent très proches. Ce dernier servirait d’informateur pour la police de Bangalore.
Le policier Santhosh Madhugiri et le trafiquant Mykel Williams semblent très proches. Ce dernier servirait d’informateur pour la police de Bangalore. © Photo remise à RFI par ses sources

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