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Côte d’Ivoire: «C’est le moment de négocier l’alternance de génération en politique»

La rencontre a été qualifiée d’historique. Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo se sont retrouvés mardi 27 juillet au palais présidentiel d’Abidjan. Les deux hommes se revoyaient pour la première depuis la crise post-électorale de 2010/2011. L’entrevue a été cordiale et ces deux figures de la vie politique ivoirienne sont apparues très détendues. De quoi apaiser les tensions, palpables ces dernières semaines. Comment analyser cette rencontre ? Est-ce là une étape vers la réconciliation nationale ? Alassane Ouattara peut-il répondre favorablement à la demande de libération des prisonniers politiques formulée par Laurent Gbagbo ? Le sociologue ivoirien Francis Akindès, professeur à l’université de Bouaké, est notre invité 

RFI : Avez-vous été surpris par l’atmosphère de cette rencontre et par l’état d’esprit des deux hommes ?

Francis Akindès : Je ne suis pas étonné par le fait qu’ils se soient rencontrés, parce que je sentais cela venir. Quand je vois la manière dont le président Laurent Gbagbo était assez mesuré dans ses discours, dans ses propos, même s’il ne manque pas de rappeler qu’il reste le chef de file d’une opposition… Il y a également tout le silence du président Ouattara, même si ses sbires de temps en temps faisaient des sorties défensives… C’était le temps de la préparation de quelque chose qui a fini par arriver, mais qui s’est révélée surprenante dans sa forme. Parce que la mise en scène de la réconciliation par le haut a été quelque chose de vraiment extraordinaire, dans la manière dont cela s’est passé. Deux frères, il n’y a pas très longtemps ennemis, qui se sont dévoilés aujourd’hui comme étant des amis, des personnes qui se connaissaient effectivement il y a bien longtemps… Tout cela, dans une ambiance très conviviale et sympathique… En tout cas, c’était une mise en scène très réussie ! C’était rassurant pour beaucoup de gens, même si beaucoup se posaient la question sur la sincérité de ce à quoi ils assistaient.

Vous le disiez, l’ambiance était très amicale. Est-ce que cette rencontre va marquer une étape majeure vers la réconciliation nationale, ou du moins, vers un apaisement des esprits ?

C’est très important que ces deux acteurs en arrivent là, parce que de toutes les façons, la demande sociale de paix, de cohésion sociale… Parce que le camp au pouvoir parle beaucoup plus de cohésion que de réconciliation, donc c’était important pour la réconciliation. Il fallait offrir ce signe fort à la société ivoirienne qui en a besoin et qui voulait sortir de cette longue période de crise. Et évidemment, un tel scénario va faire chuter la tension et certainement ça va ouvrir une nouvelle page de l’histoire politique de la Côte d’Ivoire. Maintenant, qu’est-ce que les acteurs vont y écrire ? C’est ce qu’on va voir, parce que de toutes les façons, après de telles scénarisations de la réconciliation tant attendue, l’horizon politique paraît toujours flou.

On a un peu le sentiment que chacun a fait un pas vers l’autre. D’un côté, Alassane Ouattara a permis le retour de Laurent Gbagbo, dont la condamnation pour le braquage de la BCEAO pourrait ne pas être appliquée -c’est du moins ce que laisse entendre le gouvernement- et de l’autre, en rendant visite à son successeur, Laurent Gbagbo le reconnaît comme président.

Oui, pour qu’il y ait la paix, il faut que ces deux acteurs se rapprochent l’un de l’autre. Ils l’ont fait. Maintenant, vous voyez bien que le président Laurent Gbagbo a commencé par formuler des attentes vis-à-vis du président Ouattara, notamment la libération des prisonniers… Et par exemple, sur cette question, le président Ouattara a trois options possibles. Soit, accéder partiellement à cette demande par la hiérarchisation des catégories de crimes dont les personnes inculpées seraient les auteurs et puis décider de libérer certaines et pas forcément d’autres, dans l’immédiat. Deuxième option : accéder à la demande de Laurent Gbagbo, au risque de se mettre à dos toutes les associations de victimes avec qui il devra négocier une paix sociale, contre leur sentiment d’impunité et le sentiment d’impunité qui les anime. Et la troisième option, c’est de faire la sourde oreille. Ce qui risque de ralentir la création d’un climat de confiance qu’il appelle lui-même de ses vœux.

Cette demande de libération de prisonniers politiques va-telle conditionner l’avenir des relations entre les deux hommes, selon vous ?

Ils ont ouvert la table de négociations. Tout dépendra de la manière dont le président Ouattara décidera de répondre aux attentes du président Laurent Gbagbo. Le président Ouattara a les dés en main et on attend de voir ce qui va se passer dans les jours à venir ou dans les mois à venir.

D’autres rencontres de ce type devraient avoir lieu à l’avenir. Des réunions élargies à d’autres figures de la scène politique ivoirienne, comme certainement Henri Konan Bédié. Doit-on y voir un geste d’ouverture de la part du président Ouattara ?

De toute évidence. De toute évidence, il n’est pas allé jusqu’au bout de son idée, mais tout le monde soupçonne que la troisième figure du jeu va certainement les rallier. Et ça va être très beau ! Ça va être très beau pour une société qui a besoin de réconciliation. Mais en même temps, ça rappelle que, désormais, il va falloir envisager la politique autrement. C’est-à-dire, faire de la politique dans ce pays sans un recours systématique à la violence. Et ça va être un espace de négociation, également, pour la jeune génération politique. Je pense que c’est le moment où jamais, de négocier l’alternance des générations, parce que les trois ont un âge très avancé. Dans les différents partis politiques, il y a énormément de ressources ! Qu’ils trouvent les compromis pour que ces ressources-là soient exploitées au profit du développement ou de la transformation positive d’un pays.

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