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L’Allemagne, premier pays à restituer des bronzes du Bénin au Nigeria?

Pour ce premier épisode d’une série sur la restitution d’œuvres d’art africaines, direction l’Allemagne. Après des années de blocage, le pays a changé fin avril de position concernant la restitution d’œuvres d’arts africaines et pourrait donc devenir le premier à restituer au Nigeria des bronzes du Bénin.

Avec notre correspondant à Berlin,

Le passé colonial de l’Allemagne, qui a pris fin en 1918, a longtemps été oublié. Le Troisième Reich et l’holocauste ont écrasé le travail de mémoire. Mais les temps changent. Berlin a reconnu le génocide commis au début du siècle dernier contre les Hereros et les Namas en Namibie. Et l’Allemagne pourrait être le premier pays à restituer au Nigeria des bronzes du Bénin, des objets d’art mondialement connus.

Ces bronzes font partie des œuvres les plus réputées de l’art africain. Ces bustes et sculptures en laiton ont été fabriqués entre le XVIe et le XVIIIe siècle et décoraient le palais royal du royaume du Bénin dans ce qui est aujourd’hui le sud-ouest du Nigeria.

Lors de l’invasion de la région par la Grande-Bretagne à la fin du XIXe siècle, le roi a été contraint à l’exil, son palais incendié et les œuvres confisquées. 3 000 à 5 000 objets ont été vendus aux enchères à Londres. Un millier d’entre eux ont été achetés par l’Allemagne. Près de la moitié se trouve aujourd’hui à Berlin et les autres sont répartis dans une vingtaine de villes allemandes. Si l’acquisition de ces œuvres était légale, la légitimité de ces collections est douteuse. Le Nigeria tente, en vain, depuis son indépendance d’obtenir leur restitution. Mais les musées allemands ont longtemps fait la sourde oreille.

« Responsabilités historiques et morales »

Qu’est-ce-qui explique alors ce revirement allemand ? D’abord le passé colonial du pays est ressorti de l’oubli. Une exposition au musée de l’Histoire allemande y a contribué. Les revendications de la Namibie et des négociations laborieuses durant des années sur la reconnaissance du génocide contre les Hereros et les Namas ont donné une visibilité à ce sujet douloureux. Les débats autour du forum Humboldt à Berlin qui vient d’ouvrir et qui doit d’ici à l’an prochain accueillir des collections non européennes ont joué un rôle. Et la volonté d’Emmanuel Macron de restituer aux pays africains des biens culturels se trouvant dans les musées français a suscité un écho en Allemagne et ailleurs.

Fin avril, Berlin annonçait la restitution à partir de l’an prochain de bronzes du Bénin. « Nous sommes prêts à assumer nos responsabilités historiques et morales et à effectuer un travail de mémoire sur le passé colonial de l’Allemagne », a assuré la ministre de la Culture, Monika Grütters. Fin juin, le président de la fondation du patrimoine culturel prussien Hermann Parzinger a été désigné pour mener les négociations avec les autorités nigérianes.

« Ça n’est pas un geste symbolique avec la restitution de deux ou trois œuvres mais il s’agit d’un nombre important. Nous souhaitons à l’avenir pouvoir continuer d’exposer des œuvres du Bénin en Allemagne par exemple avec des prêts sur la durée. Nous voulons pour l’avenir mettre en place une coopération. C’est le potentiel qui réside dans les débats actuels et les restitutions », explique-t-il.

Des expositions prochainement ouvertes au Nigeria

Conséquences de cette décision, des négociations vont être menées dans les mois qui viennent pour savoir quels objets seront transférés au Nigeria. Le « Edo Museum of West African Art » à Benin City au Nigeria ne doit ouvrir qu’en 2024 mais un pavillon doit permettre d’exposer auparavant des œuvres. Ces deux bâtiments seront construits sur le site de l’ancien palais royal détruit par les Britanniques.

La spécialiste du dossier, Bénédicte Savoy, autrice avec Felwine Sarr d’un rapport à Emmanuel Macron sur la restitution du patrimoine culturel africain critique depuis des années les blocages des musées allemands mais salue le tournant actuel. « Comparer l’annonce de restitution des bronzes du Bénin à la chute du mur de Berlin, c’est en quelque sorte dire qu’on est face à un événement historique, à un changement de l’ordre culturel mondial. Cette rapidité arrive après 40 ans d’attente et de frustrations du côté nigérian. Ce sont sans doute de belles pièces de l’art mondial, mais ce sont aussi et peut-être surtout, des pièces auxquelles souvent sont liés des épisodes sanglants de l’histoire coloniale », raconte-t-elle.

L’Allemagne pourrait donc être le premier pays à restituer des bronzes du Bénin au Nigeria. Pour le forum Humboldt à Berlin dont les salles consacrées à l’art non européen ne doivent ouvrir que l’an prochain, il va falloir improviser en fonction des œuvres qui resteront à Berlin.

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