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JO de Tokyo: Amjad Maafi, le très studieux champion de lutte de la banlieue de Tunis

Qualifié pour les Jeux olympiques de Tokyo, Amjed Maafi représentera la Tunisie en lutte gréco-romaine. À 20 ans, il abordait l’été avec un double objectif: avoir le Bac et remporter une médaille aux JO.

Un physique de gentil gladiateur, engoncé dans un t-shirt un peu trop serré, Amjed Maafi nous reçoit chez lui, au domicile familial. Sur la table du salon, il a étalé sa collection de médailles. Une incroyable moisson débutée il y a quatre ans. « Celle-ci, je l’ai obtenue lors de ma première participation à une compétition africaine. C’était au Maroc en 2017. J’ai gagné la médaille d’argent. C’était mes premiers combats en dehors de la Tunisie. Après ça, je suis allé au Nigeria où j’ai remporté une médaille d’or. »

Il a enchaîné les victoires et logiquement, en avril dernier, lors du tournoi qualificatif de la zone Afrique-Océanie, il a composté son ticket pour Tokyo. La lutte tunisienne se porte bien, neuf autres combattants du pays se sont qualifiés pour les JO, quatre femmes et cinq hommes.

Calme et réfléchi, Amjed Maafi nourrit de grandes ambitions pour cet été : « C’est clair, j’ai toujours envie de progresser, et pourquoi pas de gagner une médaille olympique à Tokyo, si Dieu le veut, et si ça ne se fait pas à Tokyo, ce sera peut-être à Paris, en 2024. » Il a commencé la lutte en voulant marcher dans les pas de son grand-frère et a très tôt commencé à fréquenter la salle de sport de son quartier.

De nombreux sacrifices pour atteindre le haut niveau

Dans leur maison modeste de la cité Ettadhamen, banlieue ouest de Tunis, Najwa, sa maman, fait des allers-retours en cuisine où mijote le déjeuner du champion. « Il mange de tout, il n’est pas difficile. Aujourd’hui, j’ai fait des pâtes avec du poulet », détaille cette petite femme dont la djellaba étincelle de perles et de strass. « Je mange normalement, mais je fais attention à mon poids, explique Amjed Maafi. La balance, c’est l’accessoire indispensable dans notre sport. » Le lutteur a le sourire, car pour l’instant, il arrive à garder la ligne. Il n’a pas franchi la barre fatidique des 77 kilos de sa catégorie.

À la maison, entouré de sa famille, Amjed Maafi s’autorise quelques entorses au régime très strict auquel il est astreint : « Il y a des choses qu’on ne peut pas manger au centre d’entraînement, les gâteaux par exemple. Le week-end, je peux me le permettre, ce sont des choses qui me manquent. » En fin de semaine, il retrouve les siens : sa mère, sa petite sœur, son grand frère et son père.

Pour atteindre le haut niveau, il a dû faire de nombreux sacrifices et grandir plus vite que les autres enfants. Sa mère se souvient : « Quand il était encore à l’école primaire, il sortait à 17 heures et partait au centre d’entraînement. En hiver, sous la pluie, il rentrait parfois à 23 heures. En tramway. Il devait faire plusieurs changements. » Mais Amjed Maafi n’a jamais placé pour autant la pratique sportive au-dessus de la réussite scolaire, bien au contraire, il est parvenu à concilier les deux. Avant de participer aux JO au Japon, il a passé son Bac en Tunisie.

Une grande capacité de concentration

Quelques jours avant les épreuves, Achraf Tlili, professeur de mathématiques, lui donnait, au mois de juin, ses derniers cours de soutien. « La particularité d’Amjed, c’est qu’il a une grande capacité de concentration, plus que tous les autres élèves, et il connaît la discipline. C’est ce qui lui a permis d’exceller dans son domaine. » À ce moment-là, l’enseignant est confiant, même si, reconnaît-il, « Amjed Maafi a encore des lacunes ». Mais ce n’est pas ça qui l’a empêché d’obtenir son diplôme. Le lutteur a triomphé une nouvelle fois.

Début juillet, dans un statut Facebook, il partage sa joie d’avoir été « admis ». Son Bac en poche, Amjed Maafi voit déjà plus loin et veut maintenant s’inscrire à l’Institut supérieur du sport et de l’éducation physique, l’INEPS, avec un objectif : aller jusqu’au master pour assurer son avenir professionnel.

Une obligation de réussir pour celui qui a grandi à Ettadhamen

Une tête bien remplie et un physique de statue grecque, Amjed Maafi confirme la maxime, un esprit sain dans un corps sain. Mais chez le gamin d’Ettadhamen ce n’est pas qu’un proverbe éculé, il sait qu’il a l’obligation de réussir. La ville compte 84 000 habitants. Cet ancien quartier de Tunis, marginalisé et densément peuplé, est constitué d’habitats informels qui ont été progressivement intégrés à l’agglomération. Dans la cité, les services publics n’ont jamais pu rattraper leur retard et les infrastructures sont défaillantes. La zone présente l’un des taux de pauvreté les plus élevés du Grand Tunis, selon l’Institut national de la statistique (INS), alors qu’il s’agit de la région la plus riche du pays.

La fracture sociale est immense, alimentée par les stéréotypes et la « pauvrophobie » qui tendent à présenter Ettadhamen comme un coupe-gorge. « Ce qui me fait enrager, c’est que la cité a donné beaucoup de champions à la Tunisie et on ne parle que de ce qui ne va pas, dénonce Amjed Maafi. Ça nuit à l’image de ce quartier. C’est normal de pointer du doigt les problèmes, mais il faut aussi parler des choses positives. J’aimerais dire qu’à Ettadhamen, il y a de tout, beaucoup de grands sportifs, des artistes et une jeunesse qui veut étudier et travailler. »

Amjed Maafi va donc pouvoir fêter son Bac à Tokyo, sur le podium, avec en fond sonore l’hymne national de son pays, ce serait grandiose.

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