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Retour de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire: des incidents «symptomatiques d’une crise de confiance»

Quelle leçon tirer des incidents de jeudi 17 juin entre autorités et militants pro-Gbagbo ? Pour Séverin Kouamé, enseignant chercheur à l’université de Bouaké, la difficulté à organiser un retour sans accrochages est révélatrice d’un climat de tensions persistant entre les deux camps. Il faut, selon lui, régler les vraies raisons de la crise de confiance. 

RFI : Comment analysez-vous les conséquences de ce qu’il s’est passé pour cette journée de retour de Laurent Gbagbo sur le processus de réconciliation ?

Séverin Kouamé : Cela m’inspire deux choses. La première, c’est que justement la notion de réconciliation, en tout cas dans le jeu politique ivoirien, fait partie de ce que je pourrais appeler des objets politiques peu construits et à la compréhension mal partagée. On l’a vu tout à l’heure, lorsque les deux représentants des différents partis politiques ou les principaux partis politiques protagonistes parlaient de la réconciliation. Chacun en a une conception qui est particulière, qui est spécifique, qui est partisane. On ne peut donc pas aller à la réconciliation sans en avoir une compréhension partagée.

La deuxième chose, c’est justement que tout ce qu’il s’est passé dans la journée d’hier [jeudi] est symptomatique d’une crise profonde de confiance. Il ne faut pas se voiler la face : entre les différents protagonistes de la crise ivoirienne, en tout cas ce qu’on appelle la crise ivoirienne, il y a une profonde crise de confiance. Quand on se rappelle les mots assez durs que prononçait le président Laurent Gbagbo, à l’époque pendant la campagne présidentielle, concernant son homologue [Alassane] Ouattara, le traitant de « menteur », quand on voit que les cinq premières années de sa gouvernance, Monsieur Ouattara n’a presque jamais prononcé le nom de Monsieur Laurent Gbagbo dans aucun espace public, vous voyez que là-dessus, on est dans une politique de la défiance, du ressentiment réciproque qui, on le voit à partir de ce qui s’est passé hier, est symptomatique de ce que, au-delà des déclarations d’intention, au-delà des ruptures de réconciliation, il y a encore du chemin à faire.

Est-ce que cela veut dire qu’en dépit de plusieurs mois de tractations, le terrain n’a pas été complètement aplani entre les deux camps, les préparatifs ne sont pas allés jusqu’où ils devaient aller ?

Oui. Je pense que là-dessus, chacun était dans une forme de qui perd double, parce qu’en vérité, je reste convaincu, sans vouloir faire de procès d’intention au gouvernement, qu’il n’était pas de l’intérêt de la puissance publique de voir une déferlante humaine accueillir Laurent Gbagbo. Ce serait la preuve que malgré ces dix ans, il n’y a pas eu un émoussement, une dilution de l’attachement qu’une partie de la population aurait vis-à-vis de lui.

Donc, les ordres qui arrivent a minima, les contre-ordres qui ne sont jamais clairement établis, etc., et qui font qu’une partie de ceux qui sont supposés venir le soutenir sont gazés, brutalisés, sont la preuve que l’objectif est atteint, la déferlante n’est pas sortie. Là-dessus aussi, de l’autre côté, le clan Laurent Gbagbo n’a pas été aussi totalement transparent dans la communication qu’il a eue avec le gouvernement.

L’un dans l’autre, de mon point de vue, la crise de confiance peut être profonde. Et c’est l’une des caractéristiques de cette longue crise que, depuis presque trente ans, nous vivons, parce qu’entre ceux qui nous ont gouvernés et ceux qui nous gouvernent, au-delà de ce qui est prononcé du bout des lèvres, la vérité est que les gens ne se font pas confiance.

Quels sont les gestes concrets qui doivent être posés dans les jours à venir pour permettre d’assainir ce climat ?

Je pense qu’il y a un élément qui est fondamental. Tout ce que nous vivons depuis trente ans a une base : c’est une crise profonde autour de la compétition électorale. Là-dessus, on a des échéances à venir. Il faut que les différents protagonistes s’asseyent pour s’accorder sur les règles du jeu électoral. C’est d’abord ça.

Au-delà des cérémonies qui auraient vocation à nous donner l’impression que les gens s’aiment, et que voilà, ils auraient fait la paix par des accolades, il faut s’attaquer aux causes profondes, à la racine du mal, donc assainir, créer les conditions d’une acceptation des règles du jeu de la compétition électorale. Mais aussi et surtout travailler à ce que cette imperfection de notre jeu politique soit corrigée. Aujourd’hui, on se rend compte que toute la rhétorique politique est complètement polarisante autour des identités, autour des peurs. Il faut travailler là-dessus. Il faut qu’il y ait une forme de régulation de la compétition politique, de régulation de la pratique politique pour que ces types d’approche cessent.

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