En Éthiopie, le conflit dans le nord du pays dure depuis novembre. Au bout de trois semaines, le pouvoir fédéral avait crié victoire, mais les combats continuent. La guerre a fait des milliers de morts. Mais les viols sont également très nombreux. Reportage dans l’un des seuls centres du Tigré gérant les cas de violences sexuelles. Le centre One stop, à Mekele, la capitale régionale.
Azadamara discute avec les employés de One stop. Âgée de 45 ans, cultivatrice, elle préparait à manger chez elle lorsque trois soldats de l’armée fédérale l’ont attaquée il y a un mois. Des sanglots dans la gorge, elle raconte : « Les militaires m’ont accusée d’être la mère de rebelles. Ils ont gardé ma famille dehors puis m’ont violée un par un dans la maison. Ils m’ont frappé les parties génitales et le ventre. Ça a duré quatre heures. Mon corps et mon esprit ont été brisés. J’ai caché la vérité à mes enfants. Les femmes violées ne peuvent pas parler sinon la communauté les rejette. D’autres ont subi le même sort. C’est une stratégie. L’armée veut qu’on arrête d’être fertile. Ils craignent que nos futurs enfants se vengent. »
Azadamara a reçu un soutien psychologique. Elle a subi des examens d’urine, de sang, un dépistage contre les MST. Elle est très loin d’être la seule victime. Sœur Mulu a créé One stop il y a un an et demi. Aujourd’hui, le centre ne peut plus faire face à l’afflux.
« Avec la guerre, on est passés de 30 à 200 personnes par mois. Et ce n’est que la partie immergée de l’iceberg. Depuis un mois, les cas sont encore plus graves. Avec des viols collectifs et des objets introduits dans les parties génitales. Ces femmes arrivent dans un état très instable. Certaines sont blessées après avoir été violées par 40 ou 50 militaires. Jamais je n’ai vu une telle tragédie. Nous sommes épuisés. On a besoin de plus d’espace et de médicaments », explique-t-elle.
One stop gère également un abri en ville où une quarantaine de personnes très fragiles ou potentiellement en danger peuvent séjourner plusieurs mois. Mais le flot des patients ne cesse jamais. Assistante sociale, Hira tente d’apporter du réconfort aux victimes. « Les survivantes sont abîmées. Je les encourage à s’exprimer. Et on prépare un projet pouvant les aider. Parfois je pleure avec elles. C’est très stressant. Chez moi, je suis à cran. Donc c’est une mission difficile. »
One stop compte neuf employés, avec notamment des policiers et juristes afin que des enquêtes soient ouvertes. Hadas est procureure. Elle se bat pour que les coupables soient un jour punis, même si elle ne se fait pas trop d’illusion. « Le système judiciaire s’est écroulé. Mais nous rassemblons les preuves médicales, les témoignages, pour qu’un jour on puisse demander des comptes au gouvernement, aux militaires. Nos capacités sont limitées. On n’a pas l’identité des criminels. On ne sait pas à quel groupe ils appartiennent. Ils violent à un endroit et partent ailleurs le lendemain. On se sent inutiles », se désole-t-elle.
Pour la première fois, fin mai, le procureur de la République avait annoncé la condamnation de quatre soldats, ajoutant que 53 militaires étaient sous le coup d’enquête. C’est bien trop peu selon les observateurs.