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F. Bensouda: Après la CPI, «je réfléchis à la manière de participer au développement de la Gambie»

C’est l’heure du bilan pour Fatou Bensouda. La procureure générale de la Cour pénale internationale quittera son poste mi-juin, après neuf années à la tête de l’institution. Un mandat marqué notamment par les affaires visant l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, l’ex-chef de l’État soudanais Omar el-Béchir, ou encore le Congolais Jean-Pierre Bemba. De passage à Dakar, au Sénégal, en fin de semaine dernière, la Gambienne Fatou Bensouda défend son bilan au micro de notre correspondante, Charlotte Idrac.

RFI : Vous avez été élue il y a neuf ans avec l’idée de resserrer les liens entre la CPI et l’Afrique, il y a eu toutes ces critiques récurrentes sur le continent sur le fait que la Cour ne poursuivait que des Africains, est ce que vous pensez avoir réussi à rétablir la confiance ?

Fatou Bensouda : Je pense d’abord que c’est une critique injuste, et infondée. Effectivement, la CPI a beaucoup travaillé en Afrique. Mais c’est avant tout lié au fait que des États africains eux-mêmes ont saisi la Cour. Je prends l’exemple de l’Ouganda, de la République démocratique du Congo, la République Centrafricaine à deux reprises, le Mali, les Comores. Deuxièmement, ceux qui ont mené cette propagande contre la Cour ont choisi, délibérément, de ne parler que des affaires concernant le l’Afrique. Mais nous avons mené divers examens préliminaires et enquêtes hors du continent : en Colombie, aux Philippines, au Venezuela, en Ukraine, en Géorgie, nous avons aussi ouvert une enquête en Palestine, en Afghanistan, donc c’est complétement faux de dire que la CPI ne vise que l’Afrique

Mais est-ce que vous avez délivré des mandats d’arrêt hors du continent ?

Pas encore. Mais certaines de nos enquêtes progressent bien, c’est le cas notamment en Géorgie, et je crois que très bientôt, peut-être dans le courant de l’année, nous pourrons délivrer un mandat d’arrêt.

Dans cet objectif de rétablir la confiance, il y avait l’idée d’ouvrir un bureau de liaison de la CPI sur le continent, à Addis-Abeba. Cela n’a jamais été fait, est ce que c’est toujours d’actualité ?

Il y a eu un blocage de la part de l’Union africaine elle-même. A un certain moment, nous nous sommes dit que cela ne valait pas la peine de continuer à insister sur ce sujet. Le projet n’est pas mort, mais il y a d’autres priorités.

Concernant l’acquittement de Laurent Gbagbo, l’ancien président ivoirien, et de Charles Blé Goudé, une affaire dans laquelle vous vous étiez personnellement impliquée, est ce que vous considérez cela comme un échec ?

Non, non, pas du tout. Je n’en fais absolument pas une affaire personnelle, j’ai traité ce dossier de manière totalement dépassionnée, et avec professionnalisme. Lors du procès en appel, cinq juges ont statué. Et le fait que deux de ces juges étaient d’accord avec moi montre que ce n’était pas de la légèreté de ma part d’avoir été jusqu’au bout. La majorité a confirmé l’acquittement, nous le respectons. Mais ce n’est pas une défaite. L’affaire a été politisée, j’ai été attaquée, mais je n’ai aucun intérêt personnel dans ce dossier, j’ai fait mon travail de procureur.

Toujours sur ce dossier ivoirien, en ce qui concerne le camp de l’actuel président Alassane Ouattara, où est ce qu’on en est ? Est-ce qu’il y a des mandats ? Est-ce que la Cour a toujours l’intention d’intervenir ?

J’ai toujours dit que je travaillerais en toute objectivité dans ce dossier, sur les deux camps.

Mais concrètement ?

Des enquêtes ont été lancées, elles se poursuivent, avec des avancées significatives, mais elles ne sont pas encore terminées. La pandémie de Covid-19 n’est pas une excuse, mais de fait, cela a eu un impact sur le déroulement de notre travail. Ce sera à mon successeur d’achever ce travail.

Concernant Omar el-Béchir, l’ancien président soudanais, un mandat d’arrêt avait été délivré en 2009. Maintenant qu’il n’est plus au pouvoir au Soudan, où en êtes-vous des discussions avec Khartoum pour un éventuel transfert à La Haye ? Est-ce qu’il pourrait être jugé sur place ? Quelle est la stratégie que vous allez –là encore- léguer à votre successeur.

Depuis le mandat d’arrêt émis contre Omar el-Béchir, nous avons fait face à d’énormes difficultés. Quand le président Béchir a été déchu, puis arrêté en 2019, cela a été l’occasion pour moi d’établir un dialogue avec les Soudanais. J’ai effectué une visite au Soudan en octobre dernier, j’ai rencontré les autorités, nous avons bien sûr discuté du cas d’Omar el-Béchir, et d’autres.

Et l’objectif est toujours de transférer Omar el Béchir à La Haye ?

Oui, nous en avons discuté, mais on peut comprendre que cela prenne du temps. Il y a une nouvelle donne dans le pays. Si le Soudan veut le juger, et s’il peut démontrer qu’il a les capacités de le faire, la CPI ne pourra pas lui enlever le dossier des mains de force. J’irais faire une dernière mission au Soudan avant de quitter mon poste.

Sur l’affaire Jean-Pierre Bemba : en juin 2018 l’ancien chef de guerre congolais a été définitivement acquitté dans le dossier des crimes et des viols commis en Centrafrique en 2002-2003. Jean-Pierre Bemba a donc fait 10 ans de prison pour rien, finalement…est ce que ce n’est pas gênant pour la CPI ?

Non, non…On ne peut pas dire qu’il a passé du temps en prison pour rien. Je pense que les véritables perdants, dans cette affaire, ce sont les victimes des crimes qui ont été commis.

Qu’allez-vous faire à partir de mi-juin ? Quels sont vos projets ?

Je vais d’abord me reposer ! (En français, rires). Pour l’instant, je me concentre sur la fin de mon mandat. Mais en tant que Gambienne, je réfléchis à la manière de participer au développement de mon pays. Je pourrais aussi continuer à contribuer au niveau international. « Will see ».

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