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«Cent ans de mémoire photographique» dans les rues de Brazzaville

Le Centre culturel Zola de Brazzaville expose du 12 mai au 12 juin plus de 700 photos retraçant l’histoire du Congo, de la période coloniale à nos jours. Recueillis auprès des foyers congolais, les clichés seront visibles en grand format dans les rues de la capitale. Vernissage ce vendredi 14 mai. 

Pendant un mois les Brazzavillois vont pouvoir (re)découvrir leur passé en plein air et en grand format. Sept-cent dix photographies, collectées auprès de la population, ont été numérisées et agrandies sur de grandes bâches de 2,50 mètres sur 1,20 mètre. Les panneaux géants sont disposés dans les lieux stratégiques de la capitale : place de la République, rond-point de la Poste, place de la gare, place de la Liberté ou square de Gaulle.

Un véritable engouement

Quarante autres photos sont exposées en petit format dans le tout nouveau « Centre culturel Zola » (« zola » signifie « fraternité » en langue kongo). C’est son directeur Hassim Tall Boukambou, également documentariste, qui est commissaire de l’exposition. « Je travaille depuis longtemps sur les archives photographiques et audiovisuelles, explique-t-il. J’ai eu l’idée d’associer le maximum de Congolais, parce qu’à chaque fois, mes films étaient agréablement accueillis par le public et j’ai senti la volonté des gens d’aller plus loin, de connaître leur histoire ».

Pour les Archives nationales du Congo

Avec l’aide de son équipe et de bénévoles, il organise le traitement des photos de famille recueillies auprès de ses compatriotes. 1 121 clichés, moitié sous format papier, moitié sous format numérique, affluent de tout le Congo, mais aussi de France ou des États-Unis. « Les photos continuent d’arriver, s’étonne Hassim Tall Boukambou, c’est un véritable engouement. Nous avons reçu une trentaine de photos des années 1930 aujourd’hui-même ! ». Toutes rejoindront les Archives nationales du Congo. Une opération menée en partenariat avec le ministère congolais de la Culture et des arts et l’ambassade de France.

Des instantanés souriants ou tragiques

Les 710 photos sélectionnées pour l’exposition comprennent bien sûr des portraits de personnalités politiques ou publiques, mais avant tout des clichés de Congolais anonymes. La majorité date des années 1950 aux années 1980, certains des années 1940, de rares autres sont beaucoup plus anciens. Des photos qui ont encouragé les échanges entre les générations, raconte Hassim Tall Boukambou, en particulier au sein des familles. Toutes illustrent à leur façon des périodes marquantes de l’Histoire du Congo. Des plus souriantes aux plus tragiques. En voici cinq illustrations.

Commerçants congolais de Libreville : des « sapeurs » avant l’heure

La photo a été prise en 1896. À l’époque le Gabon, le Moyen-Congo et l’Oubangui Chari (actuelle Centrafrique) constituent le Congo français. Les deux personnages sont des commerçants originaires du territoire côtier de Luango, à cheval sur les actuels États du Gabon et du Congo, qui voyageaient entre Luango, Pointe-Noire et Libreville, dernière ville qu’ils ont contribué à fonder. « Ce qui m’a le plus frappé dans ces photos, souligne Hassim Tall Boukambou, ce sont les modes vestimentaires. Un pays comme le Congo est connu pour la fameuse « SAPE », la « Société des ambianceurs et des personnes élégantes ». Avec toutes ces photos, on en découvre des sapeurs, toutes générations et toutes décennies confondues. Les deux commerçants congolais à Libreville, ce sont des sapeurs avant l’heure ! »

L’entreprise meurtrière du chemin de fer Congo-Océan

« Cette photo nous a été envoyée par un ancien, pour souligner le drame qu’a connu le Congo avec la construction, entre 1921 et 1934, du Chemin de fer Congo-Océan (CFCO), qui a vidé une bonne partie de la population du Congo. Chaque famille de l’époque a été frappée. » Une hécatombe : 30 à 40 000 morts en moins de dix ans, de faim, de fatigue, d’épuisement, de dysenterie. D’où le recours aux populations du Tchad et d’Indochine pour terminer le chantier. Une station porte d’ailleurs le nom de Sara, peuple du Sud tchadien.

« Plateau des 15 ans » : la villa à crédit dans le quartier chic

Brazzaville, quartier du Plateau des quinze ans, 1956. © Centre culturel Zola

On voit ici une maîtresse de maison avec son domestique dans « un des nouveaux logements construits à la veille de l’indépendance, dans ce nouveau quartier de Brazzaville. » La nouvelle classe moyenne et émergente adoptait le style européen dans ces villas avec jardin, avec tout le décor : la radio, le réfrigérateur, les fleurs… « Le « Plateau des 15 ans », c’était le quartier chic, pour l’élite. Il fallait quinze ans de crédit pour acquérir ce logement, d’où son nom. C’est toujours le quartier résidentiel de Brazzaville, près de l’aéroport, et toujours le plus cher. »

Fulbert Youlou troque la soutane pour le boubou

« Cette photo date de 1960. Le premier président du Congo, l’abbé Fulbert Youlou, qui était connu pour ses soutanes, s’amuse Hassim Tall Boukambou, porte une tenue traditionnelle du Sénégal, lors de la Tabaski (avec l’imprimé). Avec son ministre Kikhounga-Ngot, il est accueilli par la communauté musulmane dont l’une des personnalités les plus importantes à l’époque était le commerçant Yero Thiam (avec une barbe sur la photo), également fondateur du plus grand port de Brazzaville. »

Le foulard rouge des écoliers méritants

« C’est une dame qui nous envoyé sa photo de classe à Makoua, dans le nord du pays, explique le commissaire de l’exposition. Elle est symbolique des années 1980. Le Congo étant devenu un pays marxiste-léniniste, les écoliers les plus méritants portaient le foulard rouge. On prônait l’excellence scolaire. Beaucoup de Congolais de ma génération ont porté le foulard rouge… pour ceux qui avaient les meilleures notes ! Je suis de la génération 1972, je n’étais pas le meilleur de la classe, mais je l’ai porté. On a arrêté de porter le foulard rouge en 1991 à l’issue des conférences nationales, à la fin du parti unique. Le Congo avait la volonté de gommer les distinctions sociales. » Ce qui subsiste aujourd’hui de cette époque, c’est la tenue scolaire, encore portée par les élèves sur les photos des années 2010… à découvrir également jusqu’au 12 juin à Brazzaville.

Parallèlement à cette exposition, le Centre culturel Zola projette en avant-première ce vendredi 14 mai à 18h le documentaire d’Hassim Tall Boukambou « Révolutionnaire(s), la genèse » et co-organise vendredi et samedi le colloque en ligne « Sauvegarde des archives du bassin du Congo et mémoire partagée ».

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