La semaine dernière, Gilles Yabi a évoqué l’élection présidentielle de ce dimanche 11 avril au Bénin, dans un climat particulièrement tendu comme l’ont confirmé les violences localisées de ces derniers jours. Mais ce même dimanche, les électeurs sont aussi convoqués aux urnes au Tchad pour élire leur président.
Oui à l’occasion de cette élection présidentielle, Wathi présente un dossier sur le Tchad, qui fait partie des pays d’Afrique centrale qui font jonction avec l’Afrique de l’Ouest institutionnelle et que nous considérons comme appartenant à notre espace géographique de concentration. Je dois dire que l’ambition de donner du sens aux élections en présentant des programmes des candidats et les enjeux de ces scrutins, se heurte aux réalités politiques de plusieurs pays africains.
Si en Afrique de l’Ouest, les signes de régression dans la construction de la démocratie et de l’État de droit sont manifestes dans les pays qui s’étaient bien engagés dans cette voie, en Afrique centrale, la réalité est celle d’une glaciation des pratiques politiques dans un état bien éloigné des prescriptions de leurs propres constitutions.
Peut-on imaginer le président – maréchal Idriss Déby au pouvoir depuis plus de 30 ans et en quête d’un sixième mandat perdre l’élection de cette année ? Pas vraiment. L’enjeu de l’élection, ce n’est pas son aboutissement. Mais faut-il pour autant ne plus s’intéresser aux rendez-vous électoraux dans un pays comme le Tchad ? Nous pensons que ces moments donnent au moins l’occasion de saisir les tendances dans différents domaines, de l’environnement à la santé, de l’éducation à l’économie, et pas seulement dans les domaines politique et sécuritaire. Faire le point sur le Tchad permet de souligner en filigrane la gravité des dangers qui pointent à l’horizon dans toute l’Afrique centrale.
Quels sont ces dangers, Gilles ?
C’est principalement le danger d’une conjonction de transitions politiques douloureuses et potentiellement violentes dans plusieurs pays de la même région au cours des prochaines années, que l’horizon soit de deux, cinq ou dix ans. A priori, même les hommes forts les plus puissants ne sont pas immortels.
Que se passera-t-il dans ces pays où les présidents ou leurs familles cumulent trois ou quatre décennies ou plus au pouvoir et où la direction du pays est largement déterminée par la qualité des décisions prises par un chef omnipotent et omniscient ?
En République du Congo où le président Denis Sassou Nguesso vient d’être réélu avec 88,4 % des voix, au Gabon, en Guinée équatoriale, au Cameroun, et bien sûr au Tchad, la stabilité politique est intimement liée à la longévité des pouvoirs en place. Mais plus le temps passe, plus cette longévité est un facteur de risque majeur. Les aspirations des jeunes générations à l’alternance, à une forme de modernité politique, combinées à des difficultés économiques et sociales certaines, exposent ces pays à une incertitude politique lourde de menaces.
Et vous dites aussi que la pérennité des régimes les moins démocratiques dans chacune des régions du continent a des conséquences pour tous les autres pays…
Tout à fait. Si des pouvoirs plutôt autoritaires sous un vernis démocratique se généralisent et s’installent durablement en Afrique de l’Ouest, il ne faudra pas s’étonner de voir la Cédéao, l’organisation régionale, ranger aux oubliettes ses textes les plus importants en matière de démocratie, de gouvernance et de droits de l’homme. Elle semble déjà bien engagée dans cette voie.
Et si les régimes autoritaires se pérennisent dans une Afrique centrale très riche en ressources minières et pétrolières, ce sont autant de soutiens politiques, mais aussi financiers à tous leurs homologues partageant la même conception de ce que doit être l’exercice du pouvoir en Afrique. Il ne faudra pas non plus s’attendre à des miracles de la part de l’Union africaine si les gouvernants réellement soucieux de gouvernance démocratique sont de plus en plus isolés. Anticiper sur les évolutions politiques probables des pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre dans les 5 à 10 prochaines années est une exigence intellectuelle et quasiment morale.
Retrouvez le dossier sur le Tchad sur le site www.wathi.org