Le Groupe d’expert des Nations unies sur les mercenaires tire la sonnette d’alarme au sujet de graves « violations des droits de l’homme » « imputables » à des paramilitaires russes en Centrafrique. Les experts dénoncent le recours accru à des sociétés de sécurité privée par les autorités de Bangui en butte à une nouvelle rébellion depuis décembre. Ils déplorent aussi les « contacts étroits » qu’entretient avec ces sociétés l’armée centrafricaine et dans certains cas, les casques bleus de l’ONU déployés dans le pays.
Ce lundi encore, l’ambassadeur de la Fédération de Russie en Centrafrique Vladimir Tirorenko a assuré devant la presse que les renforts envoyés par Moscou dans le pays en décembre pour combattre la rébellion étaient des « instructeurs », « en majorité d’anciens officiers de l’armée russe », qui « ne prennent pas part aux combats », sauf « s’ils sont pris pour cible ».
Mais le communiqué publié mercredi par le Groupe de travail de l’ONU sur les mercenaires met à mal cette version, déjà largement contestée par ailleurs. « Nous avons identifié trois acteurs qui participent occasionnellement aux hostilités et offrent leurs services » au gouvernement de la Centrafrique, assure Jelena Aparac présidente rapporteuse de ce groupe d’experts indépendant qui enquête dans le cadre des procédures spéciales du conseil des droits de l’homme des Nations unies : Sewa Security Services, une société de sécurité privée russe, « Lobaye Invest SARLU », une entreprise de prospection minière russe, immatriculée en Centrafrique depuis 2017 et qui opère dans la sous-préfecture de Boda, ainsi que la société militaire privée russe « Wagner », également déployée en Syrie, dans le Dombass ukrainien, en Libye ou encore au Soudan, et depuis peu sous le coup d’une plainte déposée à Moscou pour un possible « crime de guerre ». « Nous avons pu établir une connexion entre ces trois entreprises et leur implication dans une série d’attaques violentes survenues depuis les élections présidentielles du 27 décembre 2020 », poursuit Jelena Aparac.
La liste des « graves violations des droits de l’homme » qui leur sont « imputables », selon le communiqué des experts, est longue : « exécutions sommaires massives, détentions arbitraires, torture pendant les interrogatoires, disparitions forcées, déplacements forcés de population civile, ciblage indiscriminé d’installations civiles, violations du droit à la santé et attaques croissantes contre les acteurs humanitaires. »
Le rapport complet du Groupe de travail de l’ONU sur les mercenaires reste confidentiel. Mais « nous avons mené une enquête poussée, et agissons sur une documentation et des sources très solides », assure la rapporteuse. Le détail de ces investigations a été envoyé aux acteurs concernés qui ont soixante jours pour répondre. C’est seulement passé ce délai que des informations plus précises seront rendues publiques.
Selon le quotidien britannique The Guardian, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) enquête notamment sur un incident survenu en décembre : des soldats russes et des Faca auraient ouvert le feu sur un véhicule qui ne se serait pas arrêté à un poste de contrôle de la préfecture de Ouaka, tuant trois personnes et en blessant quinze.
Outre ces allégations, le Groupe de travail de l’ONU s’alarme du manque de « clarté » qui entoure la présence de ces entreprises et acteurs paramilitaires, aux côtés des forces armées centrafricaines. « Nous voulons de comprendre quel est leur statut et la base légale sur laquelle ils opèrent, mais aussi quelles sont les mesures prises par les autorités pour protéger les civils de leur présence. Nous demandons au gouvernement de clarifier tout cela », explique Jelena Aparac.
Les experts questionnent aussi la responsabilité de la Minusca. Ils s’inquiètent des « contacts étroits » « qu’entretiennent ces compagnies et leur personnel avec les soldats de la paix de l’ONU ». A titre d’exemple de cette « proximité », ils évoquent des « réunions coordonnées en présence de conseillers russes, y compris dans des bases de la Minusca », ainsi que des « évacuations médicales » de blessés appartenant à ces compagnies.
Dans une enquête parue en février, le quotidien Libération pointait notamment la présence à l’une de ces « réunions de sécurité » d’un certain Dmitry Sergeevich Sytii, présenté comme le « fondateur de la Lobaye Invest » – l’une des trois sociétés indexées par les experts de l’ONU – et depuis septembre dernier sous sanction des Etats-Unis, « plus gros contributeur financer des missions de maintien de la paix » rappelait le journal.
Dans un droit de réponse publié le lendemain, la Minusca réfutait l’existence de « contact direct entre le leadership de la Minusca et les « paramilitaires », et justifiait la présence de son Représentant Spécial Mankeur Ndiaye à ladite réunion en expliquant avoir répondu à une « invitation du gouvernement » « par courtoisie » « sans chercher à savoir » qui étaient « les autres invités ». Peu après, selon nos informations, la tenue de ces réunions de coordination a été suspendue.
Les experts de l’ONU qualifient, eux, de « préoccupante », la « confusion et le manque de transparence sur le rôle » que jouent sur le terrain ces différents acteurs. « En raison des opérations organisé et menés conjointement entre la mission de maintien de la paix avec l’armée de la République Centrafricaine, qui elle engage ces sociétés et, ils existent des nombreux risques notamment parce que l’ONU n’exerce aucun contrôle sur ces sociétés », affirme Jelena Aparac.
« Cette indistinction entre les opérations civiles, militaires et de maintien de la paix pendant les hostilités crée une confusion quant aux cibles légitimes et augmente les risques de violations généralisées des droits de l’homme et du droit humanitaire », écrivent également les experts dans leur communiqué. Il est urgent disent-ils de clarifier le rôle des « partenaires internationaux et l’obligation de rendre des comptes afin d’instaurer une paix et une stabilité durables en République centrafricaine ».
Le Groupe de travail déplore enfin « l’absence d’enquêtes ainsi que le manque de détermination afin d’identifier les responsables de ces abus », tandis qu’à Bangui très peu d’informations filtrent du théâtre d’opération, où les déplacements des journalistes et des humanitaires sont restreints par les autorités.
Sollicitée par RFI, la Minusca n’avait pas réagi à ce communiqué mercredi soir, pas plus que l’ambassade de la Fédération de Russie dans le pays. Sur son compte Twitter, une entité baptisée Communauté des Officiers pour la Sécurité internationale (COSI) a en revanche dénoncé des « accusations non fondées » et « inacceptables » contre « des instructeurs russes formant l’armée en RCA » dans le cadre d’un « accord de coopération technique et militaire entre la RCA et la Russie ». Apparu récemment, le COSI se présente officiellement comme une « organisation représentant les intérêts » de ces instructeurs, mais l’ambassade de la Fédération de Russie assure n’en avoir « jamais entendu parler ».