Quatre mois après le début des hostilités, les combats se poursuivent dans les campagnes tigréennes entre l’armée éthiopienne et le Front de libération du peuple du Tigré. Un autre acteur du conflit, l’armée érythréenne, sème la terreur au sein des populations. Après des mois de dénégation, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed vient de reconnaître (en répondant hier aux questions des parlementaires sur la situation du pays) la présence de soldats érythréens au Tigré. Ces derniers ont appuyé les soldats éthiopiens dans leur offensive, de quoi mettre en colère les habitants de la région.
De notre correspondante à Mekele,
Dans les couloirs de l’hôpital de Mekele, des dizaines d’enfants sont arrivés avec des blessures graves, par balle ou explosion. Après une attaque dans le nord du Tigré, Emebet a pu sauver une petite fille de trois ans, le visage ensanglanté. Elle accuse des soldats érythréens d’avoir attaqué son village un jour de marché. « Après avoir envoyé de l’artillerie lourde, beaucoup de soldats sont arrivés, nous raconte Emebet. Ils ont tué tout le monde sans discernement, peu importe leur âge. J’ai pris le bébé et je me suis enfuie. Elle n’est qu’un bébé, je ne sais pas quel sera son futur, elle pourrait être un leader politique ou un soldat. Après l’avoir sauvée, je recevrai le merci du ciel. »
Les accusations à l’encontre de l’armée érythréenne se sont multipliées au Tigré. D’après Mulu Nega, président par intérim de la province, c’est l’agression du TPLF (Front de libération du peuple du Tigré) qui a affaibli les frontières. « La Division du Nord a été attaquée, elle protégeait les populations et les frontières, donc sans cette force-là tout peut arriver », affirme-t-il.
Si l’intervention érythréenne a été un soutien de poids pour que le gouvernement éthiopien puisse reprendre le contrôle de la province, elle est vécue comme une trahison par les Tigréens de Mekele. De nombreux massacres sont imputés aux soldats érythréens, comme dans la ville d’Aksum, où Amnesty International révèle que des centaines d’hommes ont été assassinés. Dans le village de Denglat, ils auraient ouvert le feu sur des civils lors d’une célébration religieuse.
Autour des fosses communes, les villageois pleurent leurs proches. Gebresisay a pu se sauver mais plus de 150 personnes ont été tuées. Il témoigne : « Je suis vraiment très triste. Toutes ces personnes… Cet homme a perdu sa sœur. Et un autre homme a perdu son frère, d’autres leurs parents. Toutes ces personnes sont en deuil. Et pas seulement eux, tous les Tigréens sont en deuil. »
Les pillages sont fréquents – usines, hôtels, mais aussi centres médicaux. À l’hôpital d’Adigrat, trois heures au nord de Mekele, ce médecin assure que les Érythréens viennent régulièrement voler du matériel. « Ils viennent tous les jours, parfois deux fois par jour. Ils sont venus hier, ils ont volé un brancard de l’hôpital. Quand ils arrivent, il n’y a pas que les patients qui fuient, les employés aussi se sauvent. »
Après des mois des mois de déni, le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, a reconnu la présence de l’armée érythréenne au Tigré. Selon lui, Asmara dit vouloir se protéger des attaques du TPLF et promet un retrait des troupes si les soldats éthiopiens retournent à la frontière.