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RFI à bord d’«Ocean Viking»: les rescapés tentent de se construire un quotidien à bord

L’Ocean Viking, le bateau de l’organisation SOS Méditerranée, effectue une nouvelle campagne de sauvetage en Méditerranée centrale. En mer en janvier et février, le navire a secouru 796 personnes parties de Libye vers l’Europe. RFI embarque à son bord pour cette mission. Chaque jour, nous recevons le carnet de bord de notre envoyé spécial. 

« S’il te plaît, fais une partie avec moi », me demande Amias. Le garçon de 9 ans désigne sur le sol deux damiers peints. Des palets en bois font office de pions. Amias est à bord de l’Ocean Viking depuis trois jours : il a déjà eu l’occasion de jouer à plusieurs reprises, avec ses sœurs notamment. Désormais, il doit partager l’espace avec les nouveaux venus. Car l’activité plaît : à certains moments, il faut attendre son tour pour pouvoir jouer. Et les spectateurs se transforment en entraîneurs, chacun prodiguant ses conseils aux joueurs.

À l’intérieur de l’abri, certains se reposent, enroulés dans les couvertures qui leur ont été données à leur arrivée sur le bateau. Le besoin de repos se fait sentir pour les personnes secourues la veille. Une nuit tassés dans un bateau pneumatique une autre avec plus de confort, mais secoués par une mer agitée qui sont venues ponctuer des mois de souffrance en Libye : les visages restent marqués par la fatigue.

Au milieu de l’abri des hommes, quelques-uns entament, eux, le repas. L’heure est déterminée librement par chacun : les portions, des rations alimentaires de survie, sont distribuées le soir, pour 24 heures. « C’est un plat à la viande et aux petits pois. C’est déjà préparé. Il faut mettre de l’eau dans le sachet pour réchauffer puis c’est prêt à être mangé », explique l’un des hommes tenant entre ses mains une pochette qu’il ferme en repliant le haut. L’eau qui y a été versée a activé un système auto-chauffant : après quelques minutes d’attente, le plat est prêt.

Sur le pont, les membres de l’équipage de SOS Méditerranée se relayent pour répondre aux questions, aux besoins et faire respecter les consignes. « Il faut laisser les chaussures en plastique à l’entrée des toilettes pour que tout le monde puissent les utiliser » répète Claire aux uns et aux autres. La plupart des personnes secourues sont arrivées pieds nus sur le bateau. Des chaussettes étaient fournies dans le kit d’accueil. Pour éviter de les salir dans les toilettes, des chaussons en plastique sont mis à disposition à l’entrée du bloc sanitaire, mais ils ne sont pas individuels.

« Je suis désolée, on ne peut pas recharger les téléphones portables. Vous êtes trop nombreux », s’excuse Claire auprès d’un des rescapés. Quelques secondes plus tard, elle promet d’aller chercher une cuiller pour un autre qui n’a plus de couvert pour manger. Les sollicitations sont constantes. Et avec 116 personnes qui doivent se partager un espace et des ressources limitées, les restrictions sont forcément nombreuses et frustrantes. « J’aimerais bien prendre une douche »,indique l’un des hommes secourus jeudi. « Ça fait trois jours que je ne me suis pas lavé, j’aimerais bien pouvoir le faire. » Sur le bateau, la consommation d’eau douce doit être suivie avec attention. « Ils nous ont dit que dans deux heures, ce serait possible. Inch’Allah ! »

Mais ces restrictions ne sont pas de nature à gêner Felix, assis avec ses amis sur l’un des bancs installés sur le pont. « Ici, nous sommes comme dans une villa », dit l’adolescent originaire de Côte d’Ivoire après deux mois passés en Libye. « Ici, je ne crains rien », poursuit-il, opposant l’Ocean Viking au pays qu’il vient de quitter : « la Libye, c’est un enfer sur terre ».

À l’autre extrémité du pont, Aleen passe en revue les photos sur son téléphone. Le temps d’un instant, il se replonge dans sa vie passée : il revoit son bureau, sa maison, sa chambre, son chat. Il montre également une vidéo dans laquelle il joue de la batterie. « Écoute » me dit-il en plaçant son téléphone près de mon oreille. « Ce sont des rythmes nord-africains »  Lui est originaire de Houara sur la côte libyenne. Contrairement aux rescapés originaires d’Afrique subsaharienne, il est capable de nostalgie à l’égard d’un pays que tous ont fui. Mais il ne veut pas non plus y retourner, précise-t-il rapidement. « La Libye, ce n’est pas bien. C’est fini pour moi. Il n’y a que des armes partout. »

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