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En Côte d’Ivoire, les hippopotames, un danger mortel pour les pêcheurs en pirogue

Au sud de la Côte d’Ivoire, dans les environs de Tiassalé, le long du fleuve Bandama, les pêcheurs d’origine malienne se plaignent du nombre croissant d’accidents, parfois mortels, qui font suite à des attaques d’hippopotames, une espèce protégée et vulnérable. Selon eux, les animaux sont de plus en plus agressifs, et certains envisagent aujourd’hui d’abandonner leur métier traditionnel en raison de ce danger quotidien. Pour les scientifiques, l’agriculture intensive pourrait expliquer ces comportements et l’augmentation des conflits entre les hommes et la faune, mais les études manquent à ce sujet.

Depuis sa pirogue, Ali regagne les berges du majestueux fleuve Bandama. Sous le pont à arcades de Tiassalé, le débit est nerveux, la végétation luxuriante, et les hippopotames souvent de passage laissant dépasser leurs oreilles ou leur narines au dessus de la surface de l’eau. Face aux danger ce matin, le pêcheur préfère suspendre sa chasse aux écrevisses. « Les hippopotames m’empêchent de travailler aujourd’hui. Il y en a même un qui s’est retrouvé en face de moi, j’ai vu son pied, il ne dort pas, c’est vraiment un danger pour nous », se plaint Ali.

À quelques pas de là, dans le village de pêcheurs Bozo – une ethnie que l’on retrouve surtout au Mali et dont les membres sont réputés bons nageurs – les récits, parfois dramatiques, au sujet des accidents entre piroguiers et hippopotames sont innombrables. Chaque homme de la communauté a connu au moins un incident avec les mammifères aquatiques qui peuvent peser jusqu’à 4,5 tonnes. Entre deux habitations en torchis, le chef des pêcheurs étale des photos d’embarcations fracturées et défoncées. Samadou Shabata montre aussi des images de corps sans vie couchés sur les berges. Selon lui, au moins 4 pêcheurs ont été tués par les hippopotames ces 15 dernières années.

« Les hippopotames attaquent, lorsque nous sommes sur l’eau, ils viennent doucement, ils renversent nos barques et les cassent. Ils nous arrivent de les confondre avec des rochers. La plupart des victimes sont attrapées par la cheville et après par la hanche avec la mâchoire, et sont envoyés au fond de l’eau », témoigne Samadu Shabata dont le fils a été attaqué à trois reprises. Il ne veut plus exercer le métier de pêcheur, qui par ailleurs ne rapporte qu’un revenu très faible.

Le patriarche se lève. Il revient quelques minutes plus tard avec un épais morceaux de peau incurvé, de la taille d’une assiette. Ce sont les restes d’un hippopotame tué en 2007 avec l’aide des chasseurs Dozo. L’animal avait causé la mort d’un pêcheur de 24 ans. « Nous avons demandé aux autorités de tous les abattre, mais elles n’ont pas donné suite », nous dit Samadou Shabata.

Il y a 3 mois, Abdouleye Traore a frôlé la mort lui aussi : un matin, un hippopotame a renversé son embarcation et l’a attrapé par la tête, puis par le pied. De cet accident, il a gardé deux cicatrices de chaque côté du cou, et une marque en haut du crâne. « C’était un vendredi, je suis allé à la pêche. Je ne savais pas qu’il était là, le temps d’attraper ma pirogue il est sorti. Voilà ma cicatrice. Ensuite, il a pensé que j’étais mort, j’ai réussi à partir et Dieu m’a sauvé. Ça fait très peur et ça fait très mal. Comment va-t-on faire ? » s’interroge Abdouleye Traore.

Selon le chercheur et professeur d’éthologie à l’université de Cocody, Karim Ouatarra, l’augmentation des conflits entre les hommes et la faune s’explique par la raréfaction des ressources et des zones d’habitats. L’activité humaine est en cause. Celui-ci pense que « les conflits vont s’accentuer » mais il dénonce toute volonté de tuer les hippopotames, espèce protégé et vulnérable. Une aberration d’un point de vue moral mais aussi social et économique. « Les abattre n’est pas la solution, parce que les hippopotames font partie du cycle des animaux. Donc ça n’arrange même pas les pêcheurs que les hippopotames disparaissent », selon le scientifique.

Karim Ouattara préconise plutôt de délimiter de larges espaces protégés pour ces animaux et de trouver des fonds pour étudier les conséquences de l’agriculture intensive sur l’environnement, notamment de la production intensive de banane dans cette région.

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