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L’Afrique des musées: le musée national des beaux-arts d’Alger, «le plus important d’Afrique»

« Le musée des beaux-arts a joué un rôle fondamental pour l’art national » en Algérie. Entretien avec la directrice et conservateur en chef du musée national des beaux-arts d’Alger sur le rôle actuel et les défis à venir du plus grand musée d’art sur le continent africain. Dalila Orfali nous parle des joyaux de la collection, de la jeunesse, du numérique, de la restitution et de sa vision pour 2030.

 

RFI : En France, à cause de la pandémie du Covid-19, tous les musées restent actuellement toujours fermés. Quelle est la situation en Algérie ?

Dalila Ofali : En Algérie, les musées ne sont pas du tout fermés. Les musées ont rouvert depuis le mois de septembre. Au contraire, nous avons du public, un public surtout de jeunes, parce que les personnes plus âgées se préservent un peu et restent chez eux.

Quel est le côté unique du musée national des beaux-arts d’Alger qui fait partie des plus grands musées d’art d’Afrique ?

C’est le plus important musée d’Afrique, si l’on parle de musées d’art. Nous avons une collection universelle, avec une grande section d’art algérien, la plus importante en Algérie. Et aussi une grande section d’art moderne, à la fois d’art maghrébin et arabe, la plus grande d’Afrique du Nord. Le côté unique du musée est sa collection ancienne, mais aussi son bâti, un monument historique classé depuis 1995. Un édifice Art déco situé dans un quartier historique de la ville d’Alger et déjà en lui-même un monument à visiter.

Au-delà de l’édifice, il y a également la collection qui commence au XIVe siècle et va jusqu’aux années 1980, 1990. On ne va pas plus loin, puisqu’il y a, à Alger, depuis les années 2000, un musée d’art contemporain et d’art moderne.

Quand on évoque le musée des beaux-arts d’Alger, on cite souvent Les Rochers de Belle-Ile, de Claude Monet, ou l’œuvre majeure de la miniature algérienne, L’Histoire de l’Islam, de Mohamed Racim. Quelle est pour vous la « Joconde » du musée  

Les œuvres de Mohamed Racim (1896-1975) sont considérées comme un trésor patrimonial national. Elles sont absolument uniques. Racim a beaucoup rayonné dans les pays arabes et était connu dans le monde entier. Il a donné une seconde naissance à la miniature arabe. Au début du XXe siècle, une période importante pour l’Algérie, la période coloniale, il a essayé de redonner ses lettres de noblesse à un art qui était un art arabo-musulman, mais également andalou, persan, moghole etc. En même temps, il a essayé de lui donner une caractéristique algérienne.

Il y a également une très belle collection du XIXe siècle, avec, par exemple, Monet. Nous avons des Matisse et aussi une très belle collection pour la sculpture. Beaucoup de grands sculpteurs sont nés à Alger et ont eu des prix de Rome, notamment Paul Belmondo, André Greck, etc. Nous avons mille et une œuvres de très grande qualité…

Quel est le public du musée ?

Ce qui est bien, c’est que nous avons une très grande majorité de public algérien. Surtout, beaucoup de jeunes visitent le musée. La raison est simple. Les vingt dernières années, le musée a investi énormément pour acquérir d’instruments de musique, de matériel pour l’initiation à l’art, etc. Nos ateliers artistiques ont beaucoup attiré la jeunesse. Bien sûr, depuis la pandémie, nous avons dû fermer les ateliers artistiques.

En temps normal, combien de personnes visitent le musée  

En Algérie, les musées les plus connus et les plus cotés ne sont pas les musées d’art, mais les musées d’archéologie, parce que nous sommes une terre archéologique. Évidemment, si vous comparez le nombre de visiteurs entre le musée national des beaux-arts et le site de Djemila [une cité romaine classée patrimoine mondial par l’Unesco, ndlr], nous avons un nombre très limité de visiteurs, parce que nous n’avons pas une typologie de collection extrêmement grand public, mais assez élitiste. En temps normal, nous avons entre 16 000 et 18 000 visiteurs par an.

Votre collection embrasse l’histoire de l’art de six siècles, jusqu’aux peintres modernes comme M’hamed Issiakhem (1928-1985) ou Mohamed Khadda (1930-1991). Quelle place réservez-vous aujourd’hui à l’art contemporain et quel rôle joue votre musée pour l’art contemporain ou les artistes contemporains  

Depuis 1962 et jusqu’à 2019, le musée a joué un rôle fondamental pour l’art national. Pourquoi ? Tout d’abord, il a été la première institution – dès les derniers mois de 1962 – à acquérir des œuvres, avec le but de constituer la section d’art algérien. Le musée a surtout acquis les artistes algériens les plus en vue, comme Issiakhem ou Khadda. Dans les années 2000, également les plus jeunes générations. Depuis une dizaine d’années, le musée s’est attelé à organiser chaque année des expositions rétrospectives des grands noms de l’art algérien. La dernière, en décembre 2019, a été consacrée au peintre Farès Boukhatem, un grand nom de l’époque post-indépendance.

Depuis la pandémie, beaucoup de musées ont changé leur relation avec le public et leur manière de présenter les œuvres. Le musée national des beaux-arts d’Alger a-t-il aussi changé de cap et investi dans des outils numériques 

Pour vous dire la vérité, nous n’avons pas vraiment investi dans ces outils. En revanche, ce que nous avons fait pendant ces six mois de fermeture du musée, c’est de travailler sur notre site Internet. Nous avons continué à livrer en ligne des expositions, des documents concernant nos collections, etc. Nous avons échangé des expositions. Le musée a prêté des collections virtuelles pour le site du Palais des Raïs concernant la ville d’Alger, etc. Nous avons établi une sorte de partenariat par rapport à nos collections, de façon que le public algérien puisse en bénéficier en ligne. Je ne peux pas dire que nous avons investi financièrement [dans les outils numériques], puisque, depuis septembre, nous avons repris le cours normal des choses.

La collection du musée fait depuis toujours le pont entre les deux rives de la Méditerranée, avec Pissarro, Degas, Renoir, Matisse et les peintres algériens comme Baya ou Khadda. Au niveau international, quelles sont les collaborations les plus importantes du musée avec d’autres musées sur le continent africain et en dehors de l’Afrique ?

Comme en Afrique, à ma connaissance, il n’y a pas d’autres musées de la même typologie que la nôtre, il n’y a pas tellement de collaborations. En revanche, nous avons eu des collaborations avec les autres continents, notamment avec les Japonais. Nous avons échangé certains de nos impressionnistes. Nous avons travaillé avec beaucoup de musées italiens. L’an dernier, nous avons aussi signé une convention avec le musée du Prado, à Madrid. Et, bien sûr, nous avons aussi souvent prêté des œuvres aux musées français. Par exemple, un David lors du bicentenaire de la Révolution française ou un très beau tableau de Guillonnet au musée de La Rochelle, dans le cadre d’un contrat de restauration.

Généralement, nous optons pour des échanges qui soient fructueux des deux côtés. Nous faisons la même chose pour nos mosaïques, nos objets archéologiques, etc. Par exemple, nous avons des tablettes très importantes de l’époque vandale, quasiment unique dans le monde méditerranéen. Elles ont été prêtées et, en contrepartie, la Suède les a restaurées. En Afrique, je sais qu’il y a un autre tableau de Monet en Afrique du Sud ou une collection impressionniste au Caire, mais, pour le moment, sur le continent africain, nous n’avons pas eu d’échange.

► À lire aussi : Restitution d’œuvres d’art africaines: le cas de l’Algérie

Le musée national des beaux-arts d’Alger a été ouvert au public en 1930. Plus que trente ans plus tard, à la veille de l’indépendance de l’Algérie, beaucoup d’œuvres ont été transférées par les Français au musée du Louvre, avant d’être restituées – « au terme de rudes négociations » – au musée des beaux-arts d’Alger en 1969.

Oui, mais c’est une vieille histoire.

En 2018, le président français, Emmanuel Macron, a lancé un grand débat sur la restitution du patrimoine africain. Quel est votre point de vue sur ce débat ? Est-ce que le Musée national des beaux-arts d’Alger ou d’autres musées en Algérie sont concernés par cette question ?

À mon avis, le musée national des beaux-arts d’Alger n’a pas une typologie de collection qui est concernée par ce genre de restitution. Le débat lancé en France concerne la restitution de biens spoliés au temps de la colonisation, c’est-à-dire des pièces historiques pour le Bénin, etc. Nous sommes un musée des beaux-arts. En revanche, je pense qu’il y a une partie de notre patrimoine archéologique qui, effectivement, a été prise de manière – je ne sais pas comment le qualifier… Évidemment, les pays dont la mémoire a été spoliée, réclament tous la restitution de leur histoire et de leur patrimoine mémoriel. C’est une chose naturelle lorsqu’on veut assurer l’identité et l’unicité d’une nation. Le patrimoine national est quelque chose de fondamental.

► À lire aussi :  «Made in Algeria», les tracés toujours brûlants d’un passé douloureux

L’Algérie a eu beaucoup de spoliations de biens archéologiques et historiques, notamment nos canons, nos archives, etc. Surtout pendant les premières années des exactions commises par le corps expéditionnaire français, au XIXe siècle. Au musée national des beaux-arts, nous ne sommes pas concernés par la commission [le rapport remis par Felwine Sarr et Bénédicte Savoy au président Macron se concentre uniquement au patrimoine subsaharien et préconise pour le cas d’Algérie « une mission et une réflexion spécifiques », ndlr], mais, vous connaissez l’expression de Frantz Fanon : « sortir de la grande nuit » coloniale. Les pays spoliés dans leur mémoire connaissent une perte de mémoire irrémédiable. Je suis Africaine et je suis Algérienne, donc, pour moi, la restitution des objets fondamentaux qui racontent l’histoire et la mémoire des peuples, c’est fondamental.

« La victime », d’Ismaël Samson (1934-1988), peintre et graveur algérien.
« La victime », d’Ismaël Samson (1934-1988), peintre et graveur algérien. © Musée national des beaux-arts d’Alger

Ces dernières années, quand de jeunes photographes algériens ont exposé leur travail en France, on pouvait ressentir l’envie de ces artistes de raconter et décrire leur pays. Quel est le rôle d’un musée comme le musée national des beaux-arts d’Alger par rapport à cette question ? Et comment imaginez-vous votre musée en 2030 ?

La jeunesse algérienne, comme toutes les générations d’Algériens – et je pense que c’est l’élément qui nous caractérise le plus par rapport aux autres pays du Maghreb -, nous sommes extrêmement attachés à nos valeurs nationales, et surtout à l’idée d’appartenance. Sans doute, parce que nous avons longuement souffert au cours de diverses occupations qu’a connu notre terre. La jeunesse d’aujourd’hui visite énormément les musées de typologies mémorielles. Pourquoi ? Parce qu’il y a encore un besoin de s’approprier cette mémoire historique.

Il est vrai, nous, le musée des beaux-arts, nous racontons autre chose. Nous racontons l’histoire de la créativité, de l’imaginaire. Mais, notre devoir est de continuer à raconter l’histoire de notre peinture, de nos peintres – certainement de manière de plus en plus numérisée, de plus en plus contemporaine, peut-être sous forme de bandes dessinées ou de produits virtuels pour toucher les jeunes. Malheureusement, l’éducation sur l’histoire algérienne a été très souvent cantonnée au XXe siècle. Nous sommes une terre de sculpteurs, de mosaïques, de graveurs, de peintres. Donc, l’un de nos projets fondamentaux est de démontrer l’existence de l’art algérien depuis la préhistoire jusqu’à nos jours, et de ne pas la limiter au XXe siècle comme, hélas, cela a été très souvent le cas et comme cela a été souvent voulu.

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