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«Ex Africa», «réécrire l’histoire» entre l’art actuel et les arts anciens de l’Afrique

Les 150 œuvres de la nouvelle exposition du musée du quai Branly à Paris promettent « un dialogue visuel inédit » entre les 34 artistes contemporains et les arts anciens de l’Afrique. Le vernissage numérique pour tous d’« Ex Africa – présences africaines dans l’art aujourd’hui » est prévu pour le 21 février, en attendant la réouverture des musées. Entretien avec Philippe Dagen, critique d’art, professeur d’histoire de l’art et commissaire de l’exposition.

RFI : De nombreuses expositions ont déjà abordé la relation entre l’art contemporain et l’Afrique, des Magiciens de la Terre en 1989 jusqu’à la nouvelle vision du monde et de l’art d’Afriques Capitales en 2017. De quelle façon, votre exposition propose-t-elle un dialogue visuel inédit sur les présences africaines dans l’art d’aujourd’hui ? 

Philippe Dagen Je pense qu’il est nouveau dans la mesure qu’il ne s’agit absolument pas de faire un panorama de la création artistique actuelle en Afrique. Il s’agit de réécrire l’histoire de la relation entre les arts anciens d’Afrique jusqu’à la période coloniale, et l’art actuel. L’exposition commence dans les années 1980 et compte un certain nombre d’œuvres qui datent de 2020 et pour certaines même de 2021.

Le titre Ex Africa et la sélection des œuvres d’artistes si différents comme Léonce Raphael Agbodjelou, Jean-Michel Alberola, Jean-Michel Basquiat, Orlan ou A.R. Penck, obéissent-ils à une démarche esthétique, artistique, géographique, politique, historique ?

L’exposition répond à tout cela. Elle répond clairement à une démarche historique dans la mesure où je veux défaire la relation d’assujettissement qui a longtemps lié les arts anciens d’Afrique aux arts d’avant-gardes occidentaux. Dans ces derniers, les arts d’Afrique – comme d’ailleurs d’Océanie ou les arts amérindiens – étaient exclusivement considérés comme des espèces de réservoirs d’idées formelles, sans aucune considération ni pour leur sens propre, ni pour les usages politiques ou religieux ou moraux qui étaient les leurs, ni pour les conditions dans lesquelles ces objets se retrouvaient dans les collections publiques et privées en Europe, dans un premier temps, et aux États-Unis dans un deuxième temps. De ce point de vue, c’est une exposition qui a un caractère historique et aussi un caractère politique, puisque toutes les œuvres sont considérées exactement de ce seul point de vue : leur proximité, leur complicité, quelquefois leur métamorphose par rapport à ce que l’Afrique a donné à l’humanité en matière de sculpture, de représentation de la figure humaine, etc.

Quel est le point commun entre des artistes comme Myriam Mihindou, née à Libreville, au Gabon, et Gloria Friedmann, née à Kronach, en Allemagne, ou entre Romuald Hazoumé, né à Porto Novo, au Bénin, et Annette Messager, née à Berck, en France ?

Le fait que – de manière très différente – ils et elles ont regardé ces cultures [africaines], se sont penchés sur elles avec la volonté de les comprendre. Ensuite, elles ou ils ont dérivé(e)s à partir de ces exemples dans des directions complètement différentes. L’œuvre de Myriam Mihindou est sans doute l’une des celles qui est la plus explicitement portée par une réflexion sur la traite négrière, l’esclavage, la manière dont les populations ont été entrainées de force aux Amériques. L’œuvre de Romuald Hazoumé est tout autant politique, parce qu’il parle des migrants et de la mort des migrants en mer. Chaque fois, le rapport est tenu avec des formes et souvent aussi des références artistiques très précises.

Dans le cas de Romuald Hazoumé qui est lui-même d’origine yoruba, la forme de spirale ou celle du serpent qu’il emploie [dans son installation No return, ndlr], a une signification très fortement ancrée dans des mythologies. Quand Annette Messager rassemble une grande figure féminine inspirée de la statuaire [ivoirienne] Attié et une poupée Barbie qu’elle semble allaiter, l’Africaine allaitant l’Occidentale, je crois que, allégoriquement, le rapport en jeu dans cette œuvre d’art est assez facile à décrypter.

Qu’est-ce qui vous a surpris le plus en préparant cette exposition 

Ce qui m’a profondément réjoui est d’abord le fait que les artistes ont tous immédiatement accepté, sans réticences, de s’engager dans cette aventure et pour certaines et certains de créer des œuvres absolument nouvelles. Quelquefois même assez loin de ce qu’on attend de leur œuvre. Par exemple, avec des œuvres sculpturales, Gloria Friedmann est très loin des œuvres vidéo qu’on connaît d’elle. Quand ils sont venus installer leurs œuvres, par exemple Sarkis, ils ont immédiatement eu un sentiment de familiarité entre eux et entre leurs œuvres. Les dialogues fonctionnent dans tous les sens et au fond tous parlent chacun dans sa langue, mais s’entendent pour parler d’Afrique.

En 2017, l’exposition Art/Afrique, le nouvel atelierà la Fondation Louis Vuitton, a été structurée en deux parties, une partie consacrée à la collection du milliardaire Bernard Arnault, l’autre réservée à la collection du riche héritier Jean Pigozzi. Le tout donnait l’impression de voir apparaître aujourd’hui de nouvelles lignes de démarcation créées par les plus grands collectionneurs.

Ici, il s’agit simplement de créer un espace commun dans lequel les artistes – quel que soit leur origine familiale, leur âge, leur sexe – puissent se rencontrer. De ce point de vue, on a choisi une muséographie plein d’échappements, encloisonnant au minimum l’espace pour qu’il y ait cette circulation.

Quant à la question que l’art africain actuel est devenu quelque chose de plus désirable pour un certain nombre de collectionneurs, on peut toujours s’interroger sur les raisons qui rendent désirables pour un collectionneur. Y a-t-il chez certains de l’opportunisme, peut-être même d’autres raisons spéculatives ? Pour l’instant, étant donné l’ignorance et le mépris par lesquels l’art africain a été longtemps tenu, depuis l’époque coloniale jusqu’aux années 1980, à de très rares exceptions près vous ne voyiez pas des artistes africains dans le champ de l’art contemporain. Donc, le premier acquis, c’est que désormais on les connaît, reconnaît et les collectionne. Et en les collectionnant, on permet une exposition comme celle-ci d’avoir lieu.

Ensuite se posera une autre question qui est moins celle des collections publiques ou privées européennes ou américaines que celles des collections publiques ou privées africaines. Là, il y aura effectivement un effort à faire pour que les artistes africains d’aujourd’hui aient des lieux plus nombreux qu’ils n’en ont à l’heure actuelle pour montrer leurs œuvres sur le continent lui-même. Pour l’instant, il y a la Fondation Zinsou et quelques exceptions heureuses, mais il faut espérer qu’elles soient beaucoup plus nombreuses dans les temps à venir.

Votre exposition a lieu au musée du quai Branly, très concerné par la question de la restitution du patrimoine culturel africain. Dans leur rapport, Bénédicte Savoy et Felwine Sarr ont appelé à une nouvelle éthique relationnelle, une nouvelle relation avec l’Afrique. Cette exposition, s’inscrit-elle dans cette démarche  

Cette exposition ne s’inscrit dans aucune démarche politique au sens où elle aurait été inspirée ou en corrélation avec aucune démarche d’un gouvernement quelconque, ni africain, ni français. À l’origine, c’était un projet personnel, qui a ensuite trouvé un écho très favorable auprès du musée du quai Branly. S’il y a une dimension politique, c’est une dimension presque plus d’éthique politique que d’administration ou de politique étrangère.

Vous êtes critique d’art, mais aussi professeur d’histoire de l’art contemporain à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Aujourd’hui, qu’est-ce que les étudiants apprennent dans leur cursus universitaire sur les présences africaines dans l’art aujourd’hui 

Je ne suis pas le seul à l’université Paris 1 à parler des arts actuels d’Afrique. Nous sommes plusieurs enseignants. On a mis en place un socle d’études relativement solide. Ceci étant, c’est récent et il a fallu se battre pour obtenir un premier poste d’enseignement, il y a dix ans. On peut espérer que dans un avenir pas trop lointain, il y en aura d’autres. Mais, si vous voulez me faire dire que et les arts anciens et les arts actuels d’Afrique sont très insuffisamment représentés dans l’enseignement supérieur en France, je vous le dis immédiatement et de surcroît avec le plus grand plaisir.

Il y a un effort de recrutement et de formation considérable à réaliser. À l’heure actuelle, c’est quand même un très bon signe, nous avons chaque année entre une demi-douzaine et une dizaine d’étudiants et d’étudiantes qui choisissent de se spécialiser sur des questions d’histoire d’art contemporain africain. On peut espérer que certains et certaines deviendront conservateurs-enseignants. On est au tout début de ce processus. Et je crois pouvoir dire que Paris 1 est la seule université en France, en dehors d’une collègue à l’université de Rennes, qui, de manière très volontariste, a vraiment mis l’accent sur la création d’un département.

Ex Africa – présences africaines dans l’art aujourd’hui, exposition au musée du quai Branly, à Paris. Le vernissage numérique (gratuit et accessible pour tous) de l’exposition est prévu le 21 février à 20h30 sur Culturebox, Canal 19 de la TNT, et la plateforme france.tv. Il sera ensuite disponible en replay et sur les réseaux sociaux. Dès la réouverture des musées en France, l’exposition sera ouverte jusqu’au 27 juin 2021.

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YAGA BURUNDI
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