Site icon LE JOURNAL.AFRICA

Les dossiers prioritaires de Moussa Faki Mahamat à la tête de la Commission de l’UA

Moussa Faki Mahamat a été réélu à la tête de la Commission de l’UA pour quatre ans. Quel bilan mettre à son actif et quels chantiers attendent encore le Tchadien pour ce second et dernier mandat ?

C’est une première dans l’histoire de l’organisation panafricaine. Seul candidat en lice, Moussa Faki Mahamat a obtenu les faveurs de 51 pays sur 55 États membres qui lui ont donc accordé un second mandat au poste de président de la Commission de l’Union africaine.

La recherche du compromis

Sur la forme d’abord, le Tchadien de 60 ans a su rompre avec le style de sa prédécesseure, la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma, souvent critiquée. « Neutralité », concertation », « homme de consensus » sont autant de termes associés à l’ex-Premier ministre du Tchad dans les portraits qui lui sont consacrés. Beaucoup soulignent son art de la conciliation. « Par nature, je cherche le compromis », déclarait-il d’ailleurs à Jeune Afrique en 2018.

L’épineux dossier du Sahara occidental en est un exemple. Quand en novembre 2017, la Côte d’Ivoire, hôte du sommet UA-UE, refuse d’inviter la République arabe sahraouie démocratique (RASD) pour ne pas risquer de froisser le Maroc, pro et anti-RASD s’arc-boutent et c’est tout le sommet qui est menacé. L’intervention de Moussa Faki Mahamat auprès du roi Mohammed VI sera jugée déterminante dans le dénouement de la crise. La clé de ce succès ? analysait sur RFI en 2018 Christophe Boisbouvier, rédacteur en chef du service Afrique : une position « d’équidistance ».

« Pragmatique » – un autre qualificatif qui lui est souvent associé –, le président de l’organe exécutif de l’UA s’est attaché à renforcer les relations de l’organisation avec des partenaires multilatéraux, comme les Nations unies et l’Union européenne, souligne l’International Crisis Group (ICG) dans une note de synthèse.

Faire taire les armes

Sur le fond, le président de la Commission, qui s’était fixé l’objectif de « faire taire les armes », s’est certes montré volontaire dans le règlement des conflits. Dès son entrée en fonction en 2017 par exemple, il s’était rendu sur le terrain en Somalie, auprès des troupes de la mission de l’UA (Amisom) et au Soudan du Sud en pleine guerre civile. L’Union africaine s’est également impliquée dans les crises au Soudan ou en Centrafrique. Concernant le Sahara occidental, l’organisation a adopté une résolution au sommet de Nouakchott, réaffirmant son soutien actif aux efforts de l’ONU dans ce dossier.

Mais malgré cette volonté affichée, force est de constater que les succès sont maigres et que le bruit des armes résonne encore d’un bout à l’autre du continent. Dans les faits, la marge de manœuvre de l’UA reste faible face à la toute-puissance des chefs d’États.« Faire taire les armes » figure d’ailleurs encore et toujours parmi les priorités de son nouveau mandat. « Le prochain mandat pourrait être un échec si nous ne parvenons pas à réduire substantiellement le bruit des armes dans les pays en proie aux crises et conflits armés », prévient-il. Terrorisme au Sahel, dans la région du Lac Tchad, au Mozambique, en Tanzanie et en Somalie… Processus de paix plus que fragiles, comme en République centrafricaine par exemple. Les points chauds ne manquent pas. Sans compter les crises passées sous silence lors de ce 34e sommet, comme celle en cours depuis trois mois dans la région du Tigré, en Éthiopie, ou la crise au Cameroun anglophone.

Moussa Faki Mahamat avait placé parmi les priorités de ses quatre années une meilleure intégration africaine. On peut citer à son actif dans le domaine le Marché unique du transport aérien africain (Mutaa) et la libéralisation du ciel africain. L’UA a aussi impulsé la création de la zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), qui a vu le jour au prix d’un processus laborieux. Et même si la Zlecaf est officiellement entrée en vigueur au début de l’année, rien n’est encore gagné. Le Nigeria, l’une des principales économies du continent, qui était réfractaire, a fini par signer, mais ses frontières restent encore fermées. « Conduire à bon port certains projets », tel que la Zlecaf, figure d’ailleurs encore dans les priorités de son second mandat.

Parmi les ombres au tableau à l’orée de ce second mandat, on peut également citer les accusations concernant « une culture de harcèlement sexuel, de corruption et d’intimidation au sein de la Commission pendant sa présidence », rappelle l’International Crisis Group (ICG) dans sa récente note de synthèse. Ses silences et sa discrétion sur le sujet ont souvent été critiqués. « Faki a formé un comité spécial en 2018 pour enquêter sur les allégations de harcèlement au sein de la Commission, et a fermement rejeté les plaintes portées contre lui pour népotisme et corruption », note l’ICG.

Achever la réforme institutionnelle, première priorité

Accroître la transparence administrative et financière de l’Union sera d’ailleurs l’une de ses priorités pour ce nouveau mandat, comme il l’affirme dans son programme « Ma vision pour 2021-2024 » où il se fixe pas moins de huit objectifs. « Face à l’ampleur déconcertante des demandes et les contraintes imposées par la limitation des ressources, des choix parfois douloureux s’imposent, écrit Moussa Faki Mahamat. Il serait démagogique de promettre tout réaliser en quatre ans. Je ne saurais promettre ce que je sais au-delà de mes capacités et de mes pouvoirs. Je ne saurais, non plus, céder à la dispersion et à une boulimie politique vaine, non crédible, inappropriée. »

La poursuite de la réforme institutionnelle, visant à rendre l’organisation plus efficace, et le renforcement du leadership de la Commission constituent en tout cas sa « première priorité ». « Une réforme qu’il a pu entamer lors de son précédent mandat, mais que Paul Kagame [qui pilote la réforme, NDLR] juge encore trop lente », analyse notre correspondant à Addis-Abeba, Noé Hochet-Bodin. Sur cette question, rapporte-t-il, Moussa Faki Mahamat est attendu sur plusieurs chantiers détaillés par le président rwandais samedi : la réforme des organes judiciaires de la Commission, celle du Parlement panafricain ainsi que le renforcement de la coopération avec les Communautés économiques régionales (CER). Le président de la Commission met quant à lui en avant « la construction d’un système de financement soutenable » de l’organisation.

L’un des changements déjà visible, c’est la restructuration de la Commission. Conformément aux nouveaux textes qui régissent cet organe, il sera secondé par une femme, la rwandaise Monique Nsanzabaganwa, élue samedi à ce poste. Son rôle sera de diriger la machine administrative de l’organisation africaine, explique notre journaliste Esdras Ndikumana, citant des sources internes à l’UA. Autre changement, souligne-t-il : l’équipe a été resserrée. Les commissaires passent de huit à six. Quatre ont été élus samedi ; les deux restants le seront en juin.

Parmi ses objectifs pour les quatre ans à venir, le recul de la pauvreté et l’autosuffisance alimentaire ou encore « l’opérationnalisation des politiques en faveur des femmes et des jeunes » figurent également au programme. Tout comme la bonne gouvernance avec « la question du constitutionnalisme et de l’État de droit », référence aux nombreuses crises politiques déclenchées par le non-respect des limites de mandats par les chefs d’État du continent. Des crises dans lesquelles l’UA s’est souvent montrée impuissante.

Quitter la version mobile