Après le départ de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika, poussé à la démission par la rue en avril 2019, la justice algérienne a lancé une série d’enquêtes pour corruption. Plusieurs procès de personnalités proches de l’ex-chef de l’tat ont eu lieu, ou sont en cours. Des observateurs estiment qu’ils révèlent l’étendue de la corruption qui avait cours sous le régime précédent.
Depuis sa démission, il y a un peu moins de deux ans, de nombreuses personnalités proches de l’ex-chef de l’État sont passées devant les tribunaux : son frère et proche conseiller Saïd Bouteflika, deux anciens Premiers ministres, des ministres, mais aussi des oligarques dont l’ancien patron des patrons, Ali Haddad. Des peines de prison, amendes et saisies de biens ont été prononcées.
Jeudi 28 janvier, un tribunal d’Alger a par exemple condamné plusieurs anciens hauts responsables du pays. Les deux ex-Premiers ministres Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal ont vu leur peine de décembre 2019 confirmée. Ils écopent respectivement de 15 et 12 ans de prison. Une quinzaine de personnes étaient poursuivies dans le cadre d’un scandale dans le secteur de l’industrie automobile et du financement « occulte » de la campagne électorale du président Bouteflika en 2019.
Au cours de ce procès, Ahmed Ouyahia a notamment affirmé avoir revendu au marché noir des lingots d’or offerts par des hôtes du Golfe pour l’équivalent d’environ deux millions d’euros.
Pour plusieurs chercheurs et observateurs, ces procès ont révélé aux Algériens l’ampleur et l’étendue de la corruption pendant la présidence d’Abdelaziz Bouteflika. « Le terme qui a été utilisé est celui de démocratisation de la corruption. Cela révèle également ce mariage entre pouvoir politique, économique et militaire qui a renforcé tout ce réseau de corruptio », explique Brahim Oumansour, chercheur associé à l’Iris. Pour lui, à travers tous ces dossiers, « ce que l’on découvre aujourd’hui, c’est une réelle spoliation des richesses du pays ».
Une réponse partielle aux attentes des Algériens
Un journaliste interrogé estime qu’au début de ces affaires, il était spectaculaire et important de voir de telles personnalités devant la justice. Toutefois, pour certains Algériens, se pose aussi la question de la crédibilité de la justice. D’autant plus que celle-ci condamne régulièrement des militants du Hirak et des activistes, parfois pour des publications sur les réseaux sociaux.
« La justice s’est attaquée aux barons de l’ancien pouvoir sur des bases solides. A côté de ça, des activistes sont inquiétés par la justice, placés en détention. On discrédite la justice qui condamne des activistes pour que les gens se disent que finalement cette justice qui a condamné les corrompus n’est pas convenable. Donc cela jette le doute sur cette campagne anti-corruption », analyse l’essayiste Abed Charef.
Certains proches du mouvement de contestation estiment aussi que ces procès visent à calmer la colère des Algériens, mais qu’ils ne constituent pas une réponse à leurs revendications. Avant l’arrêt des marches hebdomadaires en raison du coronavirus en mars dernier, les hirakistes continuaient de réclamer un changement total du système à la tête du pays.
Par ailleurs, ces procès visent des personnalités proches d’Abdelaziz Bouteflika. Mais certains se demandent désormais pourquoi l’ancien président lui-même n’est pas convoqué par la justice, même de façon symbolique.
« C’est la question que se posent différents experts et journalistes, sur le sort d’Abdelaziz Bouteflika qui à ce jour n’a pas été appelé, ne serait-ce que pour témoigner dans les différents procès qui concernent pourtant des personnalités très proches de lui », résume Brahim Oumansour. « Y compris juridiquement parlant, il serait le premier responsable en tant qu’ancien président de la gestion du pays. Cela reste un point d’interrogation et d’exclamation », poursuit-il.
Même s’ils aimeraient l’entendre, certains reconnaissent que l’état de santé de l’ancien chef de l’État permettrait difficilement de le présenter devant la justice. Abdelaziz Bouteflika est très affaibli depuis son AVC en 2013.