C’est un petit miracle. Quand un peu partout ailleurs toutes les foires ont été annulées, 1:54, la plus grande foire dédiée à l’art contemporain africain et sa diaspora, a ouvert ce mercredi 20 janvier ses portes rue Matignon à Paris. Cette édition hybride hébergée chez Christie’s propose « le meilleur du continent africain et de la diaspora africaine », dont beaucoup d’œuvres réalisées en 2020 et 2021, pendant la pandémie de Covid-19. Entretien avec Touria El Glaoui, la fondatrice et directrice de 1:54.
RFI : On vous connaît avec 1:54 depuis 2013 à Londres, depuis 2015 à New York et 2018 à Marrakech. Vous avez annulé l’édition 2021 au Maroc pour vous lancer la première fois en France, avec 19 galeries internationales présentées. À l’époque de la pandémie, Paris, est-ce le lieu idéal pour une foire dédiée à l’art contemporain africain ?
Touria El Glaoui : Pour nous, c’est une nouvelle expérience importante. Cela nous permet de découvrir une autre ville et cela nous permet de faire connaître les artistes de ce continent africain et de la diaspora africaine sur une plateforme qu’on n’aurait pas forcément utilisée normalement. C’est vraiment une opportunité.
Paris, est-ce actuellement le meilleur endroit pour organiser une foire d’art contemporain hybride, à la fois virtuelle et avec une présence physique d’artistes, de galeristes et de collectionneurs ?
Tout à fait. Aujourd’hui, il faut penser à des événements beaucoup plus petits et beaucoup plus spécialisés pour une audience locale. C’est à dire, qu’on n’essaie pas d’avoir des collectionneurs internationaux. C’est une foire qui a été faite pour Paris et on essaie d’avoir une audience beaucoup plus française et parisienne, que ce soit au niveau des galeries et des artistes.
Il y a beaucoup de noms célèbres comme Chéri Samba, Romuald Hazoumè ou Barthélémy Toguo, mais aussi des artistes moins connu comme Cristiano Mangovo, René Tavares, Kelani Abass, Delphine Desane ou Roméo Mivekannin, avec une fresque géante intitulée Le Radeau de la Méduse, réalisée en 2021. Est-ce une œuvre emblématique pour le marché de l’art actuel ?
Je pense que oui, mais, en termes de taille et de beauté, elle est surtout emblématique pour la foire. Elle se prête très bien à son emplacement dans l’atrium de la maison aux enchères Christie’s. Elle est un peu le « waouh »-facteur pour les gens qui viennent voir ce qu’on fait de mieux sur le continent africain et la diaspora africaine.
Beaucoup d’œuvres ont été réalisées en 2020 et même en 2021. La pandémie, a-t-elle changé la manière de créer, les supports, les sujets, les formats ?
Il est clair que ce virus a touché tout le monde, les artistes autant que les galeries, donc ils arrivent à nous transmettre une idée de ce qu’ils ont vécu. Ce qui est intéressant, c’est de voir aujourd’hui ces œuvres réunies, de montrer que l’art est toujours plus beau en vrai qu’en mode virtuel. C’est une chance de pouvoir faire un événement hybride où les gens ont aussi la possibilité de venir voir les œuvres physiquement.
Vu les contraintes omniprésentes, c’est un petit miracle de pouvoir regarder ces œuvres sur place, à Paris. Quelles étaient les difficultés de faire venir les œuvres, les artistes, les galeristes, les collectionneurs ?
Pour les collectionneurs, cela n’a pas été trop difficile, parce qu’il y a un vrai manque en ce moment. Toutes les institutions sont fermées, les expositions n’ont pas pu avoir lieu. Je l’ai vu moi-même le week-end dernier quand j’ai fait le tour des galeries. On sent bien que les gens ont envie de voir des choses. Toutes les galeries parisiennes sont pleines actuellement pendant les week-ends. Donc, je pense que c’est super important pour les galeries de pouvoir participer à un événement physique. Cela permet une nouvelle avenue commerciale pour elles. Pour nous, la difficulté principale, c’était la non-visibilité jusqu’au dernier moment, parce qu’on avait peur que les choses puissent encore changer. Il y avait beaucoup de risques.
Comment avez-vous réussi à réaliser la foire ?
On commencé à être une foire très adaptable et flexible par rapport à ces choses. On a eu beaucoup d’expertise après à notre événement de Londres qui a été organisé avec la possibilité d’une annulation à tout moment. On a repris un peu le blueprint de ce qu’on a fait à Londres pour Paris en pensant à la possibilité d’une annulation et d’avoir un complément digital au cas où… Et puis, on a pu aussi être plus flexible grâce à Christie’s concernant l’espace et une annulation éventuelle. Ils nous ont mis à disposition l’espace. Cela nous a réduit les risques en termes de coût.
Vous voyez l’offre virtuelle comme un « complément ». D’autres, au contraire, observent sur le marché de l’art actuellement un virage numérique, une véritable explosion des ventes numériques. Pour eux, c’est plutôt la présence physique d’une foire qui deviendra de plus en plus un complément des plateformes en ligne et des dispositifs virtuels. Comment voyez-vous l’avenir entre présentiel et virtuel sur le marché de l’art contemporain africain ?
Je pense que la foire digitale va rester quelque chose qui va toujours accompagner les foires physiques. En revanche, je pense que cela va prendre beaucoup de temps que les gens aient moins peur de revenir dans de grands événements. Donc, il sera indispensable de continuer à avoir une présence digitale.
Je pense qu’on a le bon modèle. Les plus grandes foires vont devoir s’adapter à un modèle qui est plus engageant pour une audience qui a vécu un trauma de confinement et de peurs d’attraper le coronavirus. Notre formule « petite, adaptable et flexible », qu’on a depuis toujours, permet à 1:54 d’attirer une certaine audience qui est beaucoup plus confortable quand ils voient qu’il n’y a pas beaucoup de monde et les gestes barrières sont respectés et les gens se protègent. C’est quand même possible d’apprécier l’art et de ne pas être juste limité au digital.
Depuis le début de cette pandémie, le monde de l’art cherche une solution pour sortir de cette crise provoquée par la pandémie. Quels sont pour vous les plus importants changements ?
D’un point de vue général, le fait qu’on a le digital avec nous, cela a été décisif pour la vente des œuvres et la survie des artistes. Il est possible de découvrir un artiste sur Instagram, de faire ses recherches sur Internet, d’avoir des foires virtuelles. Tout le monde, qui avant avait des limites concernant ce qu’il pouvait acheter en ligne, s’est aperçu qu’il pouvait faire non seulement confiance et acheter à des prix beaucoup plus élevés, mais aussi d’avoir une provenance qui était aussi déterminée en ligne. Toutes les galeries, même les plus importantes se sont mises à faire découvrir leurs artistes en ligne.
Concernant les artistes du continent africain et de la diaspora africaine, il y a beaucoup de nouveaux noms, de nouvelles galeries. D’un point de vue digital, c’est très bien pour les galeries bien établies avec des artistes très établis, mais beaucoup plus difficiles pour les galeristes et artistes moins connus. Donc, il est très important pour les gens qui découvrent l’art du continent africain, d’avoir quand même physiquement accès aux œuvres.