À Madagascar, une étude scientifique menée durant neuf mois par l’Institut Pasteur et le ministère de la Santé laisse penser que 40% de la population aurait été en contact avec le virus du Covid-19. Un chiffre très important pour le pays.
C’est un coup de tonnerre pour la Grande Île. L’étude dite de « séroprévalence chez les donneurs de sang malgaches », a démarré en mars dernier, date du premier cas confirmé de coronavirus sur l’île. L’Institut Pasteur, avec le ministère de la Santé, a analysé près de 8 000 échantillons de sang provenant de cinq centres de transfusion sanguine. Ces centres sont situés dans les plus grosses villes du pays : Antananarivo, la capitale, Tamatave, Majunga, Tuléar et Fianarantsoa. Le but est de comprendre l’importance de la diffusion de l’épidémie au sein de la population afin d’adapter au mieux les réponses en termes de santé publique. L’étude est actuellement soumise à publication dans une revue scientifique internationale.
Le professeur André Spiegel, directeur de l’Institut Pasteur à Madagascar, s’exprime pour la première fois à ce sujet, au micro de Sarah Tétaud.
RFI : Expliquez-nous cette étude ?
André Spiegel : Tous les mois, nous avons mesuré ce qu’on appelle la seroprévalence, c’est-à-dire chez les donneurs de sang la proportion de sujets qui étaient porteurs d’anticorps. Donc on a réalisé cette étude dans cinq centres de transfusion et on a comparé nos résultats, qui sont en quelque sorte la proportion de donneurs de sang qui portaient des anticorps, aux données que le ministre de la Santé avait de la surveillance épidémiologique, le nombre de cas et la proportion de cas confirmés. Ce que l’on a observé dans ces différents centres, c’est que les taux de seroprévalence, donc chez les donneurs de sang, montaient de 0% vers des valeurs qui étaient aux alentours de 40% après le pic épidémique. Et on peut penser que les épidémies, en dehors des mesures qui ont été prises bien sûr de prise en charge, de confinement, on a atteint dans ces régions de Madagascar, parce qu’il ne faut pas généraliser, ce ne sont pas des données qui sont extrapolables à l’ensemble de la Grande Île, on peut imaginer que le virus s’est mis à moins circuler quand 40% au moins de la population a été infectée en atténuant ce qu’on peut appeler une immunité de groupe, il y a beaucoup de discussion sur ce terme.
Donc, contrairement à ce qui a été dit, le virus a fortement circulé dans l’île, mais avec 259 décès officiels, la létalité semble faible comparé à d’autres pays. Des hypothèses ont-elles été émises à ce sujet ?
C’est probablement en grande partie liée à la jeunesse de la population puisque la fraction de la population qui au-delà de 75 ans à Madagascar est beaucoup plus faible que dans certains pays.
Un autre apport important de cette étude ?
Ce qui est intéressant, c’est qu’on voit que cette seroprévalence diminue tout doucement donc c’est quelque chose qu’il faut suivre parce que cela pourrait avoir un impact important en santé publique. On sait que ce n’est pas parce qu’on perd forcément ses anticorps qu’on perd son immunité. Il y a une immunité cellulaire qui peut prendre le relais, produire des anticorps, mais c’est quelque chose qui mérite d’être suivi et qui est suivi notamment par les décideurs en santé publique au ministère de la Santé.
Quelles sont les leçons à tirer de cette étude ?
Ces chiffres permettent d’expliquer peut-être pourquoi les épidémies de Covid-19 se sont arrêtées à Madagascar et puis la leçon qu’il faut garder, c’est qu’il faut continuer ses études pour voir comment évolue cette proportion de personnes infectées. Si elle diminue, est-ce qu’elle correspondra à une perte de l’immunité ? Il faudra être très réactif à ce moment-là.
On peut s’attendre avec des chiffres pareils à une seconde vague, est-ce qu’il faut s’y préparer ?
Je ne sais pas. Vous savez la prédiction, c’est toujours très difficile. Il faut être très humble, très prudent. On comprend peut-être pourquoi les épidémies se sont arrêtées et il faut maintenant surveiller ce taux de personnes qui sont protégées, voir qu’il ne baisse pas trop, justement, pour que la population reste protégée.