C’est une affaire qui suscite l’émotion au Sénégal : un père de famille a été arrêté cette semaine pour avoir payé un passeur et organisé le départ de son jeune fils sur une pirogue, à destination de l’Europe. L’enfant, surnommé « Doudou », âgé de 14 ans selon la presse locale, est décédé en mer mi-octobre. Il rêvait de devenir footballeur. Un drame qui s’inscrit dans une nouvelle vague meurtrière d’émigration clandestine.
Avec notre correspondante à Dakar, Charlotte Idrac
Une enquête est en cours pour comprendre ce qui a poussé ce père à faire embarquer le jeune Doudou sur une pirogue. L’homme est en garde à vue à la brigade de recherches de Mbour, sur la petite Côte au sud de Dakar. Motifs : « homicide involontaire et complicité de trafic de migrants ». La gendarmerie nationale ne précise pas la peine encourue, mais indique qu’un autre père de famille, dont le fils a pu être sauvé, a lui été arrêté mercredi pour « mise en danger de la vie d’autrui ».
Toujours selon la gendarmerie, ce n’est pas la première fois que des parents sont interpellés pour avoir organisé le départ d’enfants mineurs. Mais pour Boubacar Sèye, président de l’ONG Horizons sans frontières, ça n’est pas une solution : « Le cas de Doudou est en train de créer une onde de choc. Le problème migratoire même cesse d’être, avec le cas Doudou, un cas individuel pour être un projet initié dans les familles. On nous parle de criminalisation, mais je crois que le débat, c’est comment faire pour éradiquer cette extrême pauvreté qui est cause de départs. »
Sur les réseaux sociaux, les internautes réclament un deuil national en hommage aux victimes des récents naufrages meurtriers, et organisent une journée de « recueillement numérique » ce vendredi.
Rien que pour le mois d’octobre, la police sénégalaise a arrêté plus de 1 500 candidats à l’émigration clandestine, dont 29 convoyeurs.
■ Un nouveau drame en Méditerranée au large des côtes libyennes
Un naufrage a couté la vie hier à au moins 74 migrants, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Il y avait environ 120 personnes à bord. Une quarantaine ont été secourues par des pêcheurs et gardes côtes libyens. Les départs depuis la Libye sont en augmentation, selon l’OIM, notamment en raison de leurs terribles conditions de vie sur place. Et pourtant, plus de 11000 hommes femmes et enfants interceptés en mer ont été renvoyés en Libye depuis début 2020. C’est plus que l’an dernier. Pour l’OIM, il est urgent de changer d’approche.
Les migrants naufragés à qui nous avons parlé expliquent que s’ils tentent une traversée si dangereuse, c’est notamment à cause de leur terribles conditions de vie en Libye, où ils risquent toutes sortes d’abus. La Libye ne peut pas être considérée comme un port sûr. Les migrants qui sont interceptés en mer et y sont renvoyés sont immédiatement placés dans des centres de détention, où l’ONU a documenté leurs conditions de vie catastrophiques : extrême pauvreté, risque de kidnapping, de trafic… La loi internationale prévoit que les migrants secourus en mer doivent être conduits dans un port sûr, mais ce qui n’est absolument pas le cas de la Libye. C’est pourquoi l’OIM appelle sans relâche la communauté internationale et l’UE à mettre en place un mécanisme de désembarquement pérenne, sur et prévisible qui protège les droits des migrants en Méditerranée centrale.
Safa Msheli, porte-parole de l’OIM