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Nigeria: la figure de Ken Saro-Wiwa, son combat, ses «héritiers», 25 ans après (1/3)

Le 10 novembre 1995, l’écrivain et militant écologiste nigérian Ken Saro-Wiwa et huit compagnons d’infortune étaient exécutés par le régime du président général Sani Abacha à l’issue d’un procès controversé. Membre de la minorité Ogoni, il avait alerté l’opinion mondiale sur les désastres écologiques liés à l’exploitation du pétrole dans le delta du Niger. Vingt-cinq ans plus tard, Ken Saro-Wiwa a laissé derrière lui des héritiers.

Dans « l’Ogoniland », la manne de l’or noir et du gaz a peu de retombées visibles. Les infrastructures et les équipements sont rares dans l’espace public. Les populations locales subissent les dommages collatéraux de l’exploitation énergétique : une pollution massive des nappes phréatiques, des champs agricoles et des zones de pêche, à laquelle s’ajoute un air vicié par les émanations de gaz. En 2020, les conditions de vie sont toujours autant difficiles dans cette partie du delta du Niger, alors qu’une campagne de dépollution a été officiellement lancée par Abuja en 2016.

Ken Saro-Wiwa n’a cessé de son vivant de dénoncer la mauvaise redistribution des recettes du pétrole. Le Mosop, le mouvement qu’il a créé, existe toujours malgré la féroce répression qu’il a subie dans les années 90. Et surtout malgré l’exode massif de milliers militants dans les pays voisins du Nigeria, en Europe et en Amérique. Le MOSOP est très implanté dans les six royaumes Ogoni dans le pourtour de Port Harcourt.

Le crâne rasé de près, tunique à manche courte à damier jaune et orange, Bobjay Arwanen est le leader de l’antenne du MOSOP de Bera, une petite commune au cœur de Gokana, un des six royaumes Ogonis : « Chaque jour et chaque nuit, nous déplorons que notre air a été pollué, notre eau a été polluée, notre sol a été souillée, et même ce sol est condamné. Même si l’armée venait maintenant, je m’exprimerai sur le même ton. Je n’ai pas peur des soldats. Ils tirent, ils n’ont pas pu me tuer. J’ai passé quatre mois de ma vie à me cacher dans une forêt. Les soldats m’ont cherché jusqu’à ce qu’ils s’épuisent, ils ne m’ont jamais rattrapé. »

En face de lui, assis trois par trois sur les bancs de la petite classe d’une école primaire de Bera, près de 45 adultes l’écoutent attentivement. Près de trente ans que le « camarade Bobjay », comme on l’appelle dans sa communauté, est un membre actif du MOSOP. Près de 30 ans que ce paysan harangue les foules dans les villages de la communauté ogoni.

« Depuis que Ken Saro-Wiwa est venu diriger le mouvement, je l’ai suivi. Je l’ai suivi jusqu’à aujourd’hui. Nous allions de village en village, nous avons commencé à crier, nous avons interpellé notre peuple dans notre langue. “S’il vous plaît dou, dou“ (appel sonore en langue gokana), quand vous les appelez ainsi, les habitants d’ici sortent immédiatement. Quand je dis “dou”, “dou”, je dis “viens, viens, sors“, et ils viennent en masse. J’ai essayé au maximum d’utiliser ma langue gokana pour bien me faire comprendre. Du moment où vous parlez aux gens d’ici dans leur langue maternelle, c’est comme si vous leur injectiez une piqure, la réaction est instantanée. »

Au milieu des années 90, la répression contre les militants du Mosop est telle que Bobjay Arwanen fui le Nigeria. Il se retrouve au Bénin. Sans rien. Et surtout sans statut de réfugié. Il survit quelques années dans un camp informel. Puis l’appel du pays est trop fort, il est rentré à Bera  : « Je continuerai à me battre jusqu’à la dernière seconde de ma vie, jusqu’à ce que nous atteignions notre objectif. Nous voulons avoir une gouvernance saine, nous voulons contrôler nos ressources, nous voulons être souverain comme n’importe quel autre peuple. Nous sommes des êtres humains comme les autres. »

Dans cette lutte pour les droits du peuple Ogoni, Bobjay a perdu son épouse, son fils ainsi que plusieurs frères. Il est convaincu que leur esprit l’accompagne et le guide au quotidien.

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