LE JOURNAL.AFRICA
LITTERATURE

«Le vieux nègre et la médaille», par Ferdinand Oyono

Né au Cameroun en 1929, Ferdinand Oyono fait partie de la première génération des romanciers africains en langue européenne. Il fut haut fonctionnaire, diplomate et ministre dans le Cameroun indépendant. Il est l’auteur de trois romans, qui témoignent des heurs et malheurs de la société coloniale. Le vieux nègre et la médaille, publié en 1956, est son ouvrage le plus connu et sans doute aussi le plus original et subtil dans sa dénonciation des iniquités du monde africain dominé.

Publié en 1956, Le Vieux nègre et la médaille s’est imposé comme l’un des ouvrages incontournables du corpus littéraire africain. Pourquoi ? À cause de sa dénonciation caustique et truculente de l’institution coloniale, à cause de son économie de moyens particulièrement efficace qui mêle la satire et le réalisme social, faisant revivre l’univers colonial, avec ses hommes, ses femmes et ses contradictions. Avec Mongo Beti, Francis Bebey et quelques autres, son auteur Ferdinand Oyono appartient à la toute première génération de romanciers camerounais. La fiction camerounaise se caractérise par son refus de raconter une Afrique romantique et par son souci de témoigner avant tout des réalités sociales et politiques du continent.

L’essai critique sous le titre « Afrique noire, littérature rose » que publia Mongo Beti dans les années 1950 dénonçant les épigones de la négritude qui célébraient la vie africaine alors que l’Afrique vivait sous le joug humiliant de la colonisation, donne le ton des romans que donnent à lire la première génération d’écrivains camerounais. Cela donne une fiction résolument anti-coloniale, réquisitoire et dénonciatrice. Produit de cette tradition, Le Vieux nègre et la médaille propose l’un des portraits les plus féroces de la société coloniale, ce qui lui vaut aujourd’hui de figurer dans le panthéon des lettres africaines modernes.

Que raconte ce roman ?

Le titre résume le pitch du roman. Oyono nous raconte les tribulations de son protagoniste Méka, un vieux paysan du Sud-Cameroun, que l’administration coloniale a décidé d’honorer en lui attribuant une médaille à l’occasion des célébrations de la fête nationale du 14 juillet. La mère-patrie veut exprimer sa reconnaissance à ce vieil homme modeste dont les fils sont « morts pour la France » sur les champs de bataille en Europe. La famille a aussi cédé ses terres à la mission catholique qui y a construit son Église. Ces sacrifices valent bien une décoration.

Méka, pour sa part, est très heureux de recevoir la distinction des mains du Haut-Commissaire qui s’est déplacé pour l’occasion et a fait un discours de circonstance rappelant les traditions humanistes de la France. Dans sa naïveté, le vieux paysan prend au pied de la lettre l’offre d’amitié fraternelle du « chef des Blancs » et l’invite à son tour à venir partager le bouc chez lui. Ce dernier décline la proposition, révélant l’écart entre les discours et la vérité des rapports entre Noirs et Blancs dans la colonie.

Méka lui-même en prendra conscience, lorsque le soir, après la cérémonie qui ne tarde pas à tourner au grand guignol, il est arrêté par la police, brutalisé et humilié pour s’être retrouvé dans le quartier européen de la ville sans autorisation. Sous la plume alerte de Ferdinand Oyono, l’apparat du 14 juillet tout comme la cérémonie de remise de médaille se révèlent être ce qu’ils sont réellement, rien d’autre qu’une mise en scène hypocrite par les pouvoirs coloniaux qui proclament «  liberté, égalité, fraternité », tout en perpétuant l’exploitation-domination des Noirs par des Blancs, accompagnée d’une ségrégation de fait.

Ambiguïtés et servitudes

À la fois réquisitoire et œuvre d’imagination, le roman d’Oyono rédigé dans les années 1950 et publié en 1956, est un document exceptionnel sur le monde colonial. Il brosse le portrait d’une société dichotomique, partagée entre Blancs et Noirs, dominateurs et dominés, sans aucune possibilité de rencontre sur un pied d’égalité. Les seuls échanges possibles sont fondés sur l’incompréhension, la domination et la violence. « Avec les Blancs on ne sait jamais », proclame le protagoniste Méka en début du roman, en se rendant avec quelque inquiétude à la convocation du commandant de cercle. Dans ces conditions, la remise de la médaille qui constitue le cœur de l’intrigue de ce roman, ne peut qu’être source de déconvenues et de tensions car elle est basée sur des malentendus.

C’est cette écriture lucide des ambiguïtés et des servitudes de la société coloniale, qui fait que ce roman reste toujours lisible, plus de six décennies après sa parution. Il est d’autant plus lisible que la lucidité de ses propos passe par une langue pittoresque, ponctuée de proverbes et d’adages locaux. Enfin, ce récit est aussi très moderne, porté par une ironie mordante qui n’épargne ni le monde blanc dépourvu de valeurs morales, ni le monde noir qui apparaît, selon les critiques, comme « faible et irrémédiablement condamné à l’ineptie ».


Le vieux nègre et la médaille, par Ferdinand Oyono. Editions Julliard 1956, disponible en poche collection 10/18.

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