Le Cameroun est le 2e pays le plus touché d’Afrique subsaharienne, derrière l’Afrique du Sud, par la pandémie de Covid-19. Le port du masque y est désormais obligatoire dans les lieux publics. Entretien.
Yap Boum II est professeur de microbiologie à Yaoundé, au Cameroun. C’est le représentant régional de la branche recherche et épidémiologie de Médecins sans frontières (MSF).
Mardi 14 avril au matin, il était invité dans l’émission Priorité santé, sur RFI.
Quels sont les derniers chiffres qui concernent votre pays ?
Les derniers chiffres étaient le lundi 13 avril, de 855 cas confirmés de Covid-19 avec 15 décès, principalement, dans la région du centre où se trouve la capitale, Yaoundé. Il y a un 2e foyer au niveau du littoral, du côté de Douala, où une campagne de dépistage massif a été mise en place. On s’attend à voir davantage de cas confirmés dans les prochains jours, une fois que tous ces échantillons auront été analysés.
Partout dans le monde, on sait que le nombre de personnes testées positives ne donne pas forcément la véritable « photo » de l’épidémie. Cela s’explique par le manque de tests, le fait que beaucoup de personnes n’ont pas forcément les symptômes, ou ne les identifient pas. Aujourd’hui, est-ce que l’on a une idée de la proportion de cas qui développent des formes graves de la maladie au Cameroun ?
On a une proportion. L’organisation veille à ce que tous les cas asymptomatiques soient confirmés et que ceux qui ont des signes cliniques soient transférés dans un lieu de confinement et vers les hôpitaux. Ceux qui ont besoin de soins intensifs sont dans les hôpitaux ayant la capacité de le faire. Aujourd’hui, on est autour de 1 % qui ont besoin de soins intensifs.
Est-ce qu’il y a des caractéristiques communes, un profil pour ces cas graves ?
Aujourd’hui, il est difficile de le dire. C’est tout l’intérêt de pouvoir bien prendre les données sur les caractéristiques des patients. C’est un travail fait en parallèle de la prise en charge des patients. Quand on aura plus de recul, nous pourrons voir réellement les types de cas, l’âge, les comorbidités, etc. Pour le moment, on est plutôt dans la prise en charge/l’action que dans la collecte et dans l’interprétation des données.
Certains pays ont rendu le port du masque obligatoire pour protéger la population. Or, ces masques ne sont pas toujours disponibles et accessibles. Pour que la prévention soit efficace, il faut que les mesures prises par le gouvernement soient cohérentes avec les moyens de la population…
Il est essentiel d’avoir cette cohérence, en effet. D’un côté, il y a l’obligation du port du masque par le gouvernement et de l’autre, il y a la difficulté des individus pour s’en procurer. Ce qui est intéressant, c’est de voir la résilience. Il y a des entreprises qui passent à la production de masques. Il y a des couturiers, des tailleurs dans les rues de Yaoundé qui commencent à fabriquer des masques pour que la population s’équipe à bas prix. C’est un véritable challenge ! Il faudra quand même un accompagnement de ces entreprises et trouver le moyen de pouvoir distribuer ces masques à ceux qui n’ont vraiment rien et peuvent être potentiellement vecteurs de la maladie : les enfants de la rue, les personnes dans les prisons, etc.
Quelles stratégies ont été aujourd’hui mises en place au Cameroun, par les autorités, pour limiter la propagation du virus ?
La première stratégie est la distanciation sociale : limiter les regroupements, les funérailles, les lieux de messe, les bars qui sont très importants pour le lien social au Cameroun et sont fermés après 18 h. Depuis lundi, c’est le port du masque obligatoire dans tous les lieux publics. L’autre enjeu est de décentraliser la prise en charge, au niveau le plus bas de la pyramide sanitaire, afin que les personnes dans les villages ou les villes reculées puissent être prises en charge à ce niveau. Ce qui se passe actuellement, c’est que les professionnels de santé ont pris peur, comme tout le monde, et les patients se sont retrouvés livrés à eux-mêmes.
Estimez-vous que ces mesures correspondent aux réalités camerounaises ou y a-t-il des adaptations nécessaires ?
Je pense que tout le monde s’accorde à dire que le confinement total est probablement l’une des armes les plus importantes pour résister à ce virus. Financièrement, économiquement, politiquement, c’est un challenge. Il faut trouver le juste milieu. Je pense qu’il faut aller vers un confinement des personnes les plus vulnérables : personnes âgées, personnes présentant des comorbités (diabète, hypertension, etc.). Ce sont les personnes qui feront probablement les formes les plus critiques, que notre système de santé n’a pas les moyens de prendre en charge.
Comment faire pour ceux qui doivent sortir tous les jours, pour gagner leur vie ?
C’est à ce moment qu’on parle de solidarité africaine. Comment pouvons-nous nous mobiliser, nous organiser pour que ces personnes continuent de pouvoir gagner leur vie ? Cela peut être de manière alternée et le gouvernement doit pouvoir les accompagner pour qu’elles aient de quoi se nourrir. On a vu dans certains pays, comme le Nigeria, que les philanthropes ont donné de l’argent pour venir en aide aux personnes les plus livrées à elles-mêmes.
Est-ce qu’aujourd’hui, le continent a les ressources pour de son côté, entamer des recherches sur des réponses et des solutions adaptées ?
Avant de se lancer dans un usage systématique, comme cela est fait au Sénégal, avec la chloroquine, il me semble important d’avoir des données sur nos populations. Ce qui a marché à Marseille ne fonctionne pas forcément en Afrique. Le professeur Raoult est un excellent virologiste, mais la mise en place d’essais cliniques répond à d’autres conditions, d’autres exigences même en état d’épidémie. Je pense qu’il est important pour les Africains de pouvoir faire eux-mêmes leurs essais cliniques sur la chloroquine, mais aussi sur d’autres possibilités : l’ivermectine, des plantes traditionnelles africaines… A-t-on les ressources humaines pour mener ce type de recherche ? Oui ! A-t-on les ressources financières pour le faire ? On devrait pouvoir les trouver au sein de nos gouvernements qui ont signé les accords d’Abuja, mais aussi au niveau de nos philanthropes, sportifs, qui peuvent mettre la main à la poche, pour qu’on puisse avoir des solutions pour nos populations.
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