Un an après la révolution qui a mené à la chute du régime d’Omar El-Béchir, la jeunesse oscille entre espoir et désillusion.
Avec notre correspondants à Khartoum, Claire Debuyser et Kamal Abdourahim
En raison de l’épidémie de coronavirus, tous les locaux de l’université de Khartoum sont fermés. Tous sauf le département des sciences et technologies, où une vingtaine d’étudiants en chimie s’activent pour fabriquer des flacons de gel hydro-alcooliques afin de les distribuer gratuitement aux travailleurs du quartier.
L’anniversaire de la révolution prend une tournure particulière pour ces jeunes dont certains, comme Reem, manifestaient l’an dernier. « La révolution m’a vraiment changée. Je me sens beaucoup plus soudanaise, je sens que j’appartiens à ce pays. Je sens la solidarité entre les gens, entre les hommes, les femmes, les jeunes. Je sens cet élan collectif. Nous agissons tous par amour du pays ».
Ahmed a 25 ans. Il a terminé ses études en 2017 mais il est quand même venu aider bénévolement. Malgré la crise sanitaire qui s’annonce et les difficultés du gouvernement, il croit en les capacités des nouvelles autorités.
« Les choses ont changé oui, mais pas de manière drastique. Le changement dont nous avons besoin n’a pas encore eu lieu. On ne peut pas se débarrasser comme ça de 30 ans de régime d’Omar el-Béchir. Nous avons besoin de plus de temps, mais je pense que nous sommes sur le bon chemin ».
Au milieu des tous ces étudiants, la professeure-assistante Aroua qui les supervise partage le même optimisme. « La situation économique est mauvaise, mais avec l’aide des gens, l’aide de tous les Soudanais, ça ira, si nous y mettons tous du notre ».
Dans la continuité de la révolution, ces étudiants sont persuadés qu’ils doivent contribuer personnellement au redressement de leur pays. Cette initiative, face au risque de propagation de Covid-19, les soude encore un peu plus dans cette conviction.
• Mudawi Hassan, un révolutionnaire optimiste
À Haj Yousef, un quartier populaire du nord de Khartoum, tout le monde connaît Mudawi Hassan, 24 ans, membre du comité local et révolutionnaire de la première heure : « J’étais l’un des premiers à atteindre le quartier général de l’armée. C’était incroyable quand nous sommes arrivés. Nous sommes restés sur le sit-in pendant tout le mois de Ramadan. Nous étions heureux de le faire. Pour moi, cette révolution représente tout ».
Comme la plupart des autres manifestants, Mudawi n’avait alors connu que le régime d’Omar el-Béchir : « D’abord, il n’y avait pas de justice. Pas de libertés, se souvient-il. Il n’y en avait que pour les gens du régime alors nous espérions un nouveau Soudan pour avoir une meilleure vie parce que nous vivons dans la pauvreté et nous n’avons rien »
Un an plus tard, l’état d’esprit général a peut-être changé mais pas la situation de Mudawi. « Aujourd’hui, je n’ai pas de travail. J’espère changer de vie parce que je peux travailler mais nous n’avons pas de bonnes opportunités ». À l’écouter, cette révolution n’a fait que commencer.
Avec les autres membres de son comité de résistance, il garde un œil méfiant sur les actions menées par ce nouveau gouvernement, qui peine à sortir le pays de la crise économique. Il considère que ce dernier ne fait pas assez pour sortir le pays de la crise économique : « C’est nous qui les avons mis là ! Nous avons fait la révolution ! Ils ne veulent pas nous écouter. Aujourd’hui, nous, les comités de résistance, sommes les seuls à être vraiment légitimes. Ils veulent nous contrôler mais ils ne peuvent pas ».
Sans se départir de son éternel sourire, Mudawi assure qu’il redescendra volontiers dans la rue si cette Révolution ne tient pas ses promesses.
• Nabil Seddig, l’artiste de la paix
Malgré des conditions économiques difficiles, Nabil Elnaïm Seddig, issu d’un quartier populaire du nord de Khartoum, savoure une nouvelle liberté d’expression. Ses rêves peuvent se lire au travers de ses dessins. Ceux qu’il a tracés sur les murs de Khartoum pendant la révolution. Ceux qu’il continue de faire aujourd’hui sur le mur d’une école publique de son quartier de Haj Yousef. « Je peins une colombe, car elle représente la paix. Et en-dessous je vais écrire les mots liberté, paix et justice. C’est mon message pour le gouvernement. »
Comme beaucoup d’autres, il s’est battu pour renverser le régime d’Omar el-Béchir. Il y a contribué à sa façon, en peignant des fresques aux couleurs de la révolution sur le sit-in. « Pendant le sit-in, j’ai peint des slogans pour un nouveau Soudan, des drapeaux que les gens brandissaient quand le Soudan est devenu indépendant. Au bout d’un moment, je ne peignais même plus parce qu’il y avait beaucoup d’artistes sur place qui étaient vraiment bons, meilleurs que moi. Ils faisaient des choses magnifiques. »
Pour gagner sa vie, Nabil décore toujours les habitacles des rickshaws qui roulent musique à fond pour attirer les passagers. Un an après la révolution, il ne partage pas l’enthousiasme de la plupart de ses amis, même si cette dernière lui a offert une liberté d’expression sans précédent depuis trente ans. « Le seul aboutissement de la révolution c’est la liberté d’expression. Maintenant, on peut dire ce que l’on veut, que ce soit sur les murs ou à haute voix, et ça c’est le fruit de la révolution ».
Dix mois après la dispersion du sit-in, Nabil regrette encore ce qui était un lieu de création et d’échange entre des artistes à qui tout était interdit sous le régime précédent.
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