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Roland Marchal raconte l’«épreuve» de ses neuf mois de détention en Iran

C’est un témoignage exceptionnel. Dix-sept jours après sa libération des geôles iraniennes, le chercheur français Roland Marchal se confie. Il parle de ses neuf mois de détention, de sa cellule où il ne voyait pas le jour, de l’isolement qui lui faisait perdre la mémoire et des interrogatoires qui le détruisaient psychologiquement. Et puis il témoigne sur sa collègue et compagne Fariba Adelkhah, qui est toujours en prison à Téhéran, mais qu’il a réussi à voir trois fois, brièvement. Pour cette première interview d’homme libre, Roland Marchal a choisi RFI et Radio France. Il répondait à Christophe Boisbouvier et Franck Mathevon.

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Pendant ses premiers mois de détention, Roland Marchal, 64 ans, confie qu’il a subi « une véritable épreuve ».

Son premier combat ? « Reprendre le contrôle du temps », dit-il. Quelques jours après son arrestation, qui est survenue le 5 juin 2019 à son arrivée à l’aéroport de Téhéran, le chercheur français a été placé dans l’aile de la prison Evin de Téhéran qui était réservée aux détenus des Pasdarans, les Gardiens de la révolution. Dans sa cellule, il ne voyait jamais la lumière du jour. « À quelle heure dormir ? Je ne savais pas. Un jour, lors d’un déplacement médical, j’ai vu l’heure. Ensuite, grâce aux appels à la prière que j’entendais, j’ai pu mesurer le temps et reconquérir le contrôle du temps. Quelques semaines plus tard, j’ai eu le droit à la promenade dans une petite cour. J’ai revu le ciel et j’ai un peu pu me reconstituer. »

Son deuxième combat ? Retrouver Fariba Adelkhah, sa compagne franco-iranienne, chercheuse comme lui au Centre de recherches internationales (CERI) à Paris. « Trois semaines après mon arrestation, sur le chemin entre ma cellule et la pièce où l’on m’interrogeait, j’ai entendu une femme crier « azadi » – « liberté » en persan. J’ai reconnu la voix de Fariba. De sa cellule, elle m’avait aperçu. Après, nous avons été autorisés à nous voir brièvement à trois reprises, le 25 septembre, le 25 octobre et le 3 février. Nous avons pu échanger quelques mots. Parce que je n’étais pas au meilleur de ma forme, elle voulait me voir. Pour cela, elle a fait une longue grève de la faim. Et maintenant, elle souffre des reins. »

« C’est grâce aux livres que je suis capable d’être ici »

Son troisième combat ? Communiquer avec sa famille en France. « Certains de mes proches avaient besoin de moi et je ne pouvais pas les aider. Heureusement, le 4 juillet, le consul de France a pu me rendre visite et informer ma famille. Et le 29 août, j’ai pu appeler ma mère de 90 ans. Mais je ne pouvais appeler ma famille que très rarement, même pas une fois par mois. Pour protester, j’ai fait une petite grève de la faim. »

Son quatrième combat ? Retrouver la mémoire. « J’étais seul, coupé de l’extérieur, confie-t-il, avec des crises d’angoisse et de claustrophobie. Pas de livres. Rien. L’isolement, ce n’est pas seulement l’enfermement, c’est l’oubli. Moi qui travaille notamment sur la Centrafrique, je ne me souvenais plus du nom du président Touadera. Et quand on sait que ça va durer, c’est très difficile. Après, un gardien m’a donné un livre sur les chrétiens sous la dynastie Sassanide. Je l’ai lu quinze fois. Puis mon comité de soutien a pu m’en envoyer d’autres. C’est grâce aux livres que je suis capable d’être ici. Sans eux, je serais dans un drôle d’état. »

« Physiquement, j’ai été bien traité »

Roland Marchal, qui dit avoir perdu 24 kilos pendant ses neuf mois et demi de détention, tient à préciser qu’il n’a jamais été torturé : « On ne m’a jamais touché, ni même tutoyé. Physiquement, j’ai été bien traité. J’ai eu accès à des soins et à un médecin. Mais psychologiquement, les interrogatoires étaient insupportables. »

Le jour de son arrestation, son ordinateur et ses deux téléphones portables ont été saisis. « Comme je n’avais rien à cacher, j’ai donné mes mots de passe. Ils m’ont accusé tour à tour de travailler pour les services français, pour la CIA et pour le comité de sanctions de l’ONU. Si je ne me souvenais pas, vingt ans après, de la date d’un article que j’avais écrit ou d’une rencontre que j’avais eue avec tel diplomate, ils me hurlaient dessus. Le moindre lapsus était surinterprété. Pour moi, c’était surréaliste. Ce n’est qu’en février que l’un de mes interrogateurs m’a expliqué que tout cela était lié à l’arrestation en France d’un ingénieur iranien [Jalal Rohollahnejad]. C’est là que j’ai compris que je n’étais qu’un moyen d’échange. »

Le 3 mars, Roland Marchal, qui est officiellement poursuivi pour « collusion en vue d’attenter à la sûreté nationale », est conduit au tribunal, mais rien ne se passe. « Devant le tribunal, on m’a retenu dans une voiture sous prétexte que le juge et mon avocat ne s’étaient pas entendus. Mon procès a été reporté. » Le 19 mars, le chercheur africaniste est soumis à un long interrogatoire filmé. « Pour l’occasion, ils m’ont rasé la barbe. Un signe de libération possible ? J’avais tellement espéré que je ne voulais plus espérer. Après, quand l’espoir s’en va, c’est difficile à gérer », dit-il avec beaucoup de pudeur. Le lendemain, check-up de sa santé. « Là, j’ai compris, dit-il. On m’a rendu mon argent et emmené dans une voiture officielle jusqu’à un camp des Pasdarans où m’attendaient l’un des chefs de leur service de renseignement et l’ambassadeur de France. Quel bonheur, ensuite, de pouvoir marcher dans le jardin de l’ambassade et de redevenir quelqu’un de normal. » A-t-il pu retrouver son ordinateur et ses deux téléphones ? « Non, car l’Iranien avec lequel j’ai été échangé n’a pas pu récupérer ses bagages. » Œil pour œil, dent pour dent.

La liberté pour Fariba Adelkhah

Aujourd’hui, 17 jours après sa libération, Roland Marchal remercie la cellule de crise du Quai d’Orsay, son comité de soutien et le président Macron. Son vœu le plus cher ? La liberté pour Fariba Adelkhah. « Dans son métier, souligne-t-il, Fariba a essayé de faire quelque chose de très risqué : parler de la société iranienne telle qu’elle est. Pour les uns [le gouvernement américain], elle n’est pas assez critique. Pour les autres [les conservateurs du régime iranien], elle est trop critique. Et quand il y a durcissement idéologique [à Téhéran], ce qu’elle fait semble inacceptable. »

Roland Marchal dénonce au Moyen-Orient un nouveau phénomène, la chasse aux universitaires, notamment binationaux. « En Iran et dans d’autres pays du Golfe, on prend de mauvaises habitudes, affirme-t-il. On considère que ce sont des espions et on les arrête pour s’en servir ensuite en cas de négociations. » Pour le chercheur français, « il est important de continuer à se mobiliser pour Fariba et pour les autres universitaires détenus au Moyen-Orient ». Et il lance cet appel : « Laissez-nous ces espaces de liberté. »

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