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B. Mongo-Mboussa: «Senghor ne sépare pas la poésie de la politique»

De Joal (Sénégal), où il voit le jour en 1906, à Verson (France), où il meurt en 2001, Léopold Sédar Senghor marque le XXe siècle de ses talents littéraires autant que politiques. Le critique littéraire Boniface Mongo-Mboussa revient sur la dualité d’un homme exceptionnel.

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RFI : Comment caractériser l’œuvre littéraire de Léopold Sédar Senghor ?

Boniface Mongo-Mboussa : L’œuvre de Senghor est une ode à l’Afrique. Cet éloge du continent s’opère à la fois sur le plan intellectuel et poétique. Du point de vue intellectuel, c’est la valorisation de l’art nègre ; sur le plan poétique, c’est la célébration de la femme africaine, des paysages et des civilisations du continent.

Senghor est un poète élégiaque, un poète de la mémoire. Un homme travaillé par la fuite du temps, partagé entre un passé harmonieux perdu à jamais – le fameux royaume d’enfance -, un présent violent, insaisissable, et un futur hypothétique, dont l’issue est fatalement la mort. Dans tout cela, le poète se veut Dyali(griot), avec une mission bien précise : glorifier son lignage, ses amis, ses morts, son pays et sa civilisation.

Pourquoi le Normalien passionné de littérature s’engage-t-il en politique ?

Senghor a toujours pensé qu’il était tombé en politique. On ne l’a jamais cru, du moins pas tout à fait. Et pourtant, il ne mentait pas en disant cela. La politique l’a rattrapé au pays en 1945, alors qu’il était venu collecter la poésie orale sérère pour l’écriture d’une thèse.

Sollicité avec insistance par Lamine Gueye pour être candidat au deuxième collège pour l’élection au poste de député de l’Union française à la Constituante, il a fini par accepter l’offre de Lamine Gueye et de la S.F.I.O. Ensuite, tout s’enchaîne. En 1956, il est nommé secrétaire d’État à la présidence du Conseil dans le gouvernement d’Edgar Faure. En 1959, il est élu président de l’Assemblée de l’éphémère fédération du Mali. Le 5 septembre 1960, il est élu président du Sénégal pour un mandat de 7 ans. Il sera réélu en 1963, 1968, 1973 et 1978. Le 3 décembre 1980, il se démet de ses fonctions présidentielles au profit d’Abdou Diouf.

Au long de ces vingt ans de présidence, est-il resté poète ?

Senghor a dirigé son pays en professeur. C’est-à-dire avec méthode et esprit d’organisation, deux valeurs chèrement acquises chez les Pères blancs et à Khâgne à Paris ! Sa vie dans l’année était ainsi organisée : pendant la saison scolaire, il est président au Sénégal ; en été, il est poète en Normandie, à Verson, patrie de sa seconde épouse Colette Hubert. Dans sa poésie, je l’ai dit, il célèbre la culture africaine ; dans sa politique, il donne la primauté à la culture sur l’économique. Senghor ne sépare pas la poésie de la politique. Pour lui, « interpréter poétiquement le monde » ne s’oppose pas à le « changer » politiquement. D’où ce beau titre, Poésie de l’action, qu’il donne à son autobiographie intellectuelle et politique, parue en 1980.

Les valeurs défendues dans son œuvre sont-elles celles appliquées dans sa politique ?

Dans sa poésie, il célèbre sa terre natale, la fraternité, la fidélité, la mémoire, la dignité, l’honneur, la bravoure. En politique, il a été très digne. Il prône l’enracinement tout en s’ouvrant en monde, à la France. D’où la francophonie. On le lui a reproché. C’était oublier son sens de la fidélité. Il savait ce qu’il devait à la France, aux Pères blancs qui l’ont éduqué, à ses maîtres de Louis-Le-Grand, à son condisciple Pompidou, à Paris.

Dans l’affaire qui l’oppose à Mamadou Dia, est-il encore fidèle à ces valeurs ?

À l’indépendance, Senghor hésite encore entre la vie politique et la carrière de professeur, surtout de poète. Il doute de la solidité des « républiquettes » issues de la balkanisation de l’Afrique. Mamadou Dia, lui, n’a pas ces états d’âme. Il prend sa fonction de président du Conseil – qui conduit l’action du gouvernement – très au sérieux. Il impose un système d’économie agricole qui prend de court les marabouts féodaux, la chambre de commerce de Dakar et les intermédiaires, dont certains sont membres de l’Assemblée nationale. 

Irrités, ces derniers l’accusent d’autoritarisme – ce qui est en partie vra-, collectent des signatures pour une motion de censure. Dia se cabre, fait évacuer l’Assemblée et arrête quatre députés leaders. Mais les députés se retrouvent au domicile de Lamine Gueye, le président de l’Assemblée, et votent la motion de censure. Dia est accusé d’avoir fomenté un coup d’État – un coup d’État constitutionnel. Et il est condamné.

Une condamnation si sévère qu’elle divise encore la société sénégalaise. Ce que beaucoup de Sénégalais reprochent à Senghor, ce n’est pas tant le fait d’avoir arrêté Dia. Ce dernier avait par impulsivité violé la constitution. Ce qu’ils reprochent à Senghor, c’est la sévérité avec laquelle il s’est servi de cette opportunité pour se débarrasser de Dia, qui commençait à lui faire de l’ombre. Dans ce conflit, Senghor a agi avec méthode, sang-froid et ruse. Il avançait masqué derrière les députés ; Dia, lui, entier et droit, n’a pas fait dans la dentelle. D’où sa chute. Encore une fois, Senghor a prouvé qu’il pouvait être poète et politicien. 

Mais, finalement, a-t-il été plutôt un président ou plutôt un poète ?

Finalement… Un poète-président ! Pas l’un sans l’autre. Mais s’il fallait choisir, sans hésiter, il aurait choisi le poète. Il n’était pas dupe de la vanité de la gloire politique. Il a toutefois assumé avec rigueur et dignité ses deux fonctions. En cela, il a porté un démenti à l’injonction de Platon, qui interdisait au poète le droit de diriger la cité.

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