Des archives françaises montrent que le président déchu de la république autoproclamée du Biafra a tenté, à l’issue de la « guerre civile nigériane », en 1970, de relancer une rébellion armée depuis son exil en Côte d’Ivoire, provoquant la colère de son hôte, le président Houphouët-Boigny et de la France, qui l’avaient soutenu jusque-là.
Lorsque la guerre du Biafra se termine, le 15 janvier 1970, après trois ans de violents affrontements entre une armée fédérale soutenue par le Royaume-Uni et des indépendantistes biafrais armés par la France, le dirigeant séparatiste Emeka Ojukwu se trouve déjà en Côte d’Ivoire depuis plusieurs jours.
Quelques semaines auparavant, l’armée nigériane, fortement armée par ses alliés britannique et soviétique, a remporté une victoire militaire sur des Biafrais épuisés et démoralisés par trois années d’hostilités et une famine qui a coûté la vie à des centaines de milliers de personnes.
Le général Ojukwu vient d’être « lâché » par la France, qui lui a envoyé des armes et des mercenaires du début à la fin du conflit dans l’espoir d’affaiblir le Nigeria, « géant » anglophone entouré d’anciennes colonies françaises. La rupture entre Paris et Enugu, capitale du Biafra indépendant, a été décidée le 6 janvier 1970 lorsque le président français, Georges Pompidou, se range à l’avis du patron de la « cellule Afrique » de l’Élysée, Jacques Foccart, qui ne croit plus à une victoire biafraise.
Mais le général Ojukwu, l’homme qui a incarné le Biafra, ne l’entend pas de la même oreille. De son exil ivoirien, il affirme vouloir « poursuivre le combat », même si Félix Houphouët-Boigny lui a demandé de ne pas se livrer à des activités subversives et à se faire discret. Sa présence en Côte d’Ivoire ne sera d’ailleurs révélée au grand public que plusieurs semaines après son arrivée.
Selon le doctorant et documentariste Joël Calmettes, qui prépare une thèse sur le rôle de la France au Nigeria pendant la guerre du Biafra, l’ex-numéro un biafrais a fait fi des exhortations ivoiriennes et tenté de monter une opération militaire dans l’espoir de retourner au Nigeria. Des archives publiques et privées lui permettent d’affirmer que le général Ojukwu a même planifié une opération qui lui aurait permis de prendre le contrôle d’un pont stratégique à Makurdi, capitale de l’État de Benue.
La fureur de Houphouët-Boigny
L’ex-dirigeant biafrais ne cherchait pas à relancer les hostilités en tant que telles, estime Joël Calmettes, mais à pousser les autorités fédérales à négocier avec lui dans l’espoir de se réinstaller au pouvoir au Biafra avant 1972. « Ojukwu n’acceptait pas la défaite du Biafra ni le fait de ne plus être à sa tête, explique le chercheur. Il ne voyait plus la réalité. Il était en exil. »
Ce projet suscite la colère de Félix Houphouët-Boigny, qui refuse de s’y associer, d’autant plus que « le Vieux » a fini par comprendre que le général Ojukwu et ses proches étaient corrompus. L’ex-dirigeant indépendantiste s’est déjà transformé en véritable investisseur : depuis son exil ivoirien, analyse Joël Calmettes, il cherche même à acquérir une usine au Portugal, la puissance coloniale qui a soutenu le Biafra.
Le président ivoirien est choqué, explique Joël Calmettes, parce qu’il n’ignore pas l’origine de sa fortune : « Il s’agit de l’argent qui a été collecté pour le Biafra, pas les fonds humanitaires, mais l’argent qui a été donné par Houphouët-Boigny et la France pour le Biafra. »
Dans des courriers secrets interceptés par les services français, le général Ojukwu estime qu’il n’a plus besoin du soutien de la France et de la Côte d’Ivoire, et qu’il veut se réfugier à Haïti.
« Nous avons eu assez d’armes »
Cela provoque la fureur du chef de son hôte ivoirien, qui cherche dès lors à l’expulser « dans les trois semaines », précise Joël Calmettes, vers le Portugal et la Suisse, deux pays qui refuseront de lui donner l’asile.
Lors d’une réunion avec des proches, en février 1970, l’ex-dirigeant biafrais fera un terrible aveu : « Jusqu’à trois mois avant la fin de la guerre, nous avons eu assez de nourriture, d’armes et d’argent, mais nous n’avons pas su nous en servir ». Ce constat d’échec marque ses soutiens français et ivoiriens, qui croyaient que le Biafra n’était pas arrivé à s’en sortir parce que l’éphémère république n’avait pas reçu assez d’armes. « Difficile de savoir si cet aveu est une pointe d’orgueil ou qu’elle est le reflet de la réalité », met toutefois en garde Joël Calmettes.
L’échec du mouvement indépendantiste au Biafra sera un camouflet pour la « cellule Afrique » de l’Élysée et les « réseaux » qui, sous le général de Gaulle, avaient la haute main sur la politique africaine de la France, selon Joël Calmettes.
En intervenant au Biafra, la France souhaitait affaiblir le Nigeria. En clair, il s’agissait de renforcer les plus fidèles soutiens de Paris en Afrique, la Côte d’Ivoire et le Gabon, face au « géant » anglophone et s’assurer une position privilégiée dans un Biafra indépendant appelé, croyait-elle, à devenir un grand producteur pétrolier.