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Indépendance du Cameroun: «Le président Biya a gardé tout le système d’avant»

Maître Alice Nkom est une avocate camerounaise qui lutte pour les droits de l’homme dans son pays. Selon elle, l’indépendance du Cameroun proclamée le 1er janvier 1960 n’a en fait jamais été réellement acquise.

Quel souvenir gardez-vous du 1er janvier 1960 ?

Alice Nkom : D’excellents souvenirs. J’étais âgée de 15 ans, parce que c’était une grande fête, parce que les parents qui avaient vécu autre chose, l’indigénat notamment, nous disaient que c’était une libération. Et le président [Premier ministre jusqu’au 1er janvier 1960] Ahmadou Ahidjo avait parlé à la télé, non on n’avait pas de télé, à la radio, l’adresse à la nation, qu’il était plein d’espoir et plein de promesses pour l’avenir.

Pour les nationalistes de l’UPC, 1960 n’a été qu’une indépendance formelle, car les Français ont tout fait pour écarter du pouvoir ceux qui avaient lutté pour cette indépendance…

Ça, c’est certain. Et ça a évidemment joué énormément sur les comportements notamment du général de Gaulle. Il nous a donné la chèvre, mais il a gardé la corde bien serrée dans sa main.

Vous habitiez à Douala, un quartier Upciste peut-être ?

Oui. J’habitais à Douala dans le quartier Nkongmondo et c’était là le siège de l’UPC. Nous avons été la cible des maquisards (rires) qui pensaient que se prononcer de cette manière-là était collaborer avec le colon, avec le gouverneur, c’était vendre le pays. Et à la maison, nous avons été victimes de plusieurs incendies nocturnes qui ont fait que mes parents ont déménagé et on a fui le quartier pour éviter d’être brûlés vifs par ceux qui ne partageaient pas cette vision de l’indépendance.

Avec 60 ans de recul, est-ce que le Cameroun a rempli les promesses de son indépendance ?

Malheureusement, cette indépendance n’a jamais été réellement acquise, parce qu’au moment où on donne cette indépendance, on fait signer à quelqu’un qui est dans une situation de faiblesse, on livre la chèvre, mais jamais la corde. On garde la corde dans sa main. Aujourd’hui, on en paie le prix. C’est que ça dure, la monnaie porte les stigmates de cette époque-là, la stratégie c’était : OK, on vous donne l’indépendance, on va habiller y compris vos chimpanzés en costume cravate, etc., vous allez vous pavaner et vous allez faire de beaux discours. Mais en réalité, le pouvoir réel, nous le détenons puisque c’est nous qui allons vous permettre d’être président, c’est-à-dire que tu ne seras jamais le défenseur de ton peuple, mais notre obligé.

Mais les militaires français ne sont-ils pas partis ? Le franc CFA n’est-il pas en pleine transformation ?

Vous dites bien « en pleine transformation ». Mais 60 ans après ! Vous voyez très bien que même le président Biya gère le Cameroun selon ce principe-là, à savoir un système colonial qui continue à produire malheureusement des effets extrêmement néfastes aujourd’hui. Et c’est tout le contraire d’une construction démocratique que l’on voit.

Beaucoup parlent d’un pays bloqué, mais est-ce seulement la faute aux Français ?

Mais, la faute originelle, elle est française. Elle continue. Regardez ce que le président fait : il est invité par son homologue russe depuis des mois. Il dit oui, et lorsque le ministre français déclare qu’il veut venir au Cameroun, il abandonne un projet présidentiel, un projet avec une puissance pour recevoir comme un chef d’État un ministre français.

Le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian [en visite les 23 et 24 octobre 2019] ?

Oui il s’agit de Le Drian, bien sûr. Cela a choqué tout le monde. Mais c’est comme ça. Et en Côte d’Ivoire, c’est la même chose. C’est-à-dire que ce système consiste à régler les problèmes du pays par rapport à leurs intérêts personnels, pour rester au pouvoir puisque c’est ça le problème des chefs d’État. Leur programme, c’est comment faire pour me maintenir au pouvoir longtemps. J’ai déniché la France, elle est là, elle va me protéger. Je vais lui donner tout ce qu’il faut que je vais retirer à mon peuple, c’est ça qui est mauvais. Et c’est ça que les populations commencent à percevoir de manière très claire. Et c’est ça qu’ils vont accepter de moins en moins.

En 1960, il y a eu un grand rêve de réunification entre les Cameroun anglophone et francophone. Pourquoi ce grand rêve a-t-il échoué ?

Ce rêve a échoué parce que justement, le président Biya a gardé tout le système d’avant. Un système colonial qui part du fait qu’il veut à tout moment contrôler, comme la France le fait. Si aujourd’hui, le président Biya décide subitement de détruire ce qui fait de lui le roi absolu qu’il est, c’est-à-dire donner un pouvoir aux anglophones, lui, il se sent menacé. Il voit bien comment le Canada [fédéral] fonctionne. Il voit bien comment l’Allemagne [fédérale] fonctionne. Mais tous ces fonctionnements vont à l’encontre du projet du président de la République qui est un projet de parti unique hérité de la colonisation avec comme vision, le pouvoir perpétuel : mourir au pouvoir. Et cela donne lieu à des dérapages énormes sur son devoir, issu de la Constitution et sous son serment, de protéger les droits de l’homme. C’est terminé. Les droits de l’homme sont sortis par la fenêtre parce que le sang et les fusils sont rentrés par la porte.

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