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Soudan: une révolution d’anonymes

Ce jeudi 19 décembre marque le premier anniversaire du début de la révolution soudanaise. En avril dernier, elle provoquait la chute du régime d’Omar el-Béchir, en place depuis trente ans. Une révolution amorcée puis menée, pour l’essentiel, par le peuple des villes du Soudan.

Comme toujours dans les révolutions populaires, depuis 1789 en France jusqu’à 2019 au Soudan, la flamme mettant le feu à tout un système peut paraître anodine. En l’occurrence, il s’agit de la hausse du prix du pain, dans un Soudan déjà durement touché par l’isolement politique et économique d’un régime qui n’avait, à ce moment-là, plus beaucoup de marge de manœuvre.

C’est alors qu’ont surgi sur la scène politique ces acteurs anonymes appelés dans le pays les « comités de résistance de quartier », rassemblant des citoyens familiers, vivant dans le même pâté de maison ou dans la même rue. « On voyait toutes sortes de gens, explique la chercheuse Sarra Majdoub, qui a passé plusieurs mois cette année auprès d’eux. Mais on va dire que ceux qui prenaient les devants étaient des jeunes hommes et des jeunes femmes, avec des capacités, des réseaux et une certaine agilité. Ce ne sont pas des gens qui avaient des ambitions de carrière militante. Ils avaient surtout un savoir-faire, né comme ça, du bas, de la pratique quotidienne de la ville, de la mobilisation, de la désobéissance civile, répondant à des questions comme : « Comment va-t-on faire ? Comment va-t-on se protéger contre la répression au quotidien ? » »

Éclatement de la colère

C’est le 19 décembre 2018 que la colère éclate partout. D’abord dans la cité ouvrière d’Atbara, dans le Nord, puis la ville voisine de Dongola, à Port-Soudan, dans l’est du pays, à El Obeid dans le centre, et évidemment à Khartoum, la capitale. On manifeste, on défile dans les rues. Mais surtout, on s’organise autour de chez soi, avec un mot d’ordre central.

« Au début, l’objectif était vraiment la chute matérielle et effective du régime, raconte Sarra Majdoub. Ils scandaient « Tasgot bas ! », c’est-à-dire : « Tu t’en vas, c’est tout. » Il fallait que le régime chute, point final. On s’organisait surtout la nuit. Les gens se retrouvaient, faisaient le bilan au jour le jour de la mobilisation, de ce qui se passait ici ou là, des reflux de la répression. »

Si les personnalités de l’Association des professionnels soudanais, l’aile politique de la contestation, mène la bataille de l’organisation, elle s’appuie sur les comités, où les Soudanais débattent, se disputent parfois, se mettent d’accord sur les prochaines étapes à franchir. « C’est vraiment un modèle très intéressant, enchaîne Sarra Majdoub. Leur travail consistait à décider comment s’organiser concrètement, quelle tactique développer, quelle méthode utiliser pour occuper telle place, pour se rendre à telle marche. C’était vraiment, à la fois logistiquement et politiquement, le lieu-clé de la mobilisation. »

La suite est désormais connue. Le 11 avril, Béchir est renversé par une révolution de palais, un coup d’État militaire mené par plusieurs généraux, appuyés par les omniprésentes Forces de soutien rapide de l’ancien chef janjawid Mohamed Hamdan Dagalo, dit « Hemeti », qui se révèle l’homme-clé de la manœuvre. Du coup, les militaires – les paramilitaires, surtout – prennent la situation en main. Ils répriment dans le sang, début juin, le rassemblement festif et politique qui se tenait devant le quartier général de l’armée, épicentre de la révolution, depuis des semaines.

Sous la pression internationale et face à la montée des tensions, début juillet, un compromis est finalement trouvé. Le Soudan entre alors dans une phase de transition, supposant un partage du pouvoir entre civils et militaires. Un compromis qui, pour l’instant, se déroule dans une paix relative.

Une nouvelle idée du Soudan

Mais ce qui est né durant cette révolution, insiste Sarra Majdoub, est une nouvelle idée du Soudan chez les gens ordinaires. « Le régime en place était racialiste. Il considérait que ceux-ci sont moins Soudanais que ceux-là, donc on peut les réprimer, on doit leur faire la guerre, etc., explique-t-elle. C’est pourquoi, au sein des Comités, il y a eu un retour très fort de la question de la « soudanéité », pour le dire vite, de la question de savoir ce que signifie « être Soudanais ». Et ce qui a émergé, c’est un Soudan pour tous, c’est-à-dire l’idée de bâtir finalement une nouvelle « soudanéité », ou plutôt de la raviver, cette même « soudanéité » qui a amené l’indépendance du pays, qui était motrice en 1924 lors d’une ancienne révolte… C’était quelque chose de très fort. Et puis les gens se sont mis à faire le lien avec les crises des marges du pays, le Darfour, le Nil bleu ou les monts Nouba. Il fallait construire quelque chose d’assez fort pour contrer le racialisme du régime. »

Mais aujourd’hui, beaucoup de membres de ces comités de résistance sont « amers », ajoute Sarra Majdoub. Les militaires étant toujours au pouvoir, ce qui prédomine est « un sentiment d’expropriation ». Mais ils ont aussi en tête, rappelle-t-elle, une expression soudanaise qui évoque le « long souffle » des révolutions. Ce qui indique, avec poésie, que tout n’est peut-être pas fini.

À lire aussi : 2019, année de toutes les colères

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